Les sources d’apprentissage sont multiples, mais cela est aussi bien que mauvais. Le premier problème étant que la discipline est essentiellement britannique donc de langue anglaise, le second est qu’en France le bushcraft fait lentement son bonhomme de chemin et on ne le croise pas à chaque coin de forêt.
Comprendre le bushcraft
Le terme est d’origine anglaise, la discipline, pratiquée avant tout dans les pays colonisés par les Anglais. Nous l’avons défini dans cet article « Débuter dans le bushcraft » et vous en apprendrez bien plus que ce je pourrais dire à présent. Je peux néanmoins vous rappeler que le bushcraft est à la fois l’étude des techniques primitives utilisées par l’humain pour s’approprier son environnement naturel et à la fois la mise en application de toutes ces techniques pour en tirer une subsistance. Dans le temps, c’était la définition d’un mode de vie, que l’on peut associer à une vie d’ermite qui chasse, trappe, pêche, glane, pour manger et pourvoir à ses besoins (vêtements, outils, médicaments). Mais avec l’avènement de la civilisation, les zones où de tels savoirs sont utilisables se sont grandement réduites et ne permettent plus (pour tout un chacun du moins, car certains y parviennent encore) d’en vivre quotidiennement. Désormais, on pratique le bushcraft comme un loisir, on part faire du bushcraft puis on revient chez soi, contents d’avoir eu notre dose de nature, jusqu’à la prochaine fois.
La première raison de sa transformation en hobby est le manque de nécessité, la deuxième est le manque d’espace et la troisième est le manque de temps que l’humain alloue désormais à la pratique de la nature. Il existe sûrement plein d’autres raisons. Toujours est-il que, la matière est assez dense pour toute une vie d’apprentissage. Mors Kochanski, le père du bushcraft moderne (nord-américain mais d’influence mondiale), disait souvent que plus il en apprenait sur la nature et le bushcraft, plus il constatait qu’il n’en maîtrisait en fait qu’une toute petite parcelle, malgré son décès à presque 80 ans.
Les films et séries
Loin d’être très formateurs, car pas toujours très réalistes, ils permettent néanmoins d’injecter la première dose de passion-nature chez n’importe qui. On a tous vu Avatar avec la mère nature omniprésente inspirée d’une conception native-indienne du Grand Esprit et des paysages magnifiques, les vues aériennes, les plantes bizarres. Je pense aussi pour les plus de 40 ans aux films de conquête américaine comme Croc Blanc… les westerns avec le personnage récurrent du cow-boy qui dort sur sa selle dans le désert et puise son eau dans la rivière, les Disney où la nature est mise en valeur, les Myazaki où elle est puissante et indomptable.
Plus récemment on peut aussi citer Le Territoire des loups avec Liam Neeson, le Revenant avec DiCaprio, Seul au monde avec Tom Hanks (plutôt survie certes, mais c’est une vie dans la nature) ou encore Into the Wild. Ces films inspirent et donnent envie de bouger, de faire son sac et de partir. Blague à part, je citais Mors plus haut, c’était lui le conseiller bushcraft du film The Revenant (le type qui se bat contre un ours et met 15 jours à retrouver la civilisation). Je ne dirais donc rien de mal sur ce film hormis que c’est un peu gros, mais apparemment basé sur une histoire vraie (exploit du trappeur Hugh Glass, ayant débouché sur un roman).
Pourtant, concernant les films, je mets en garde les lecteurs. Ils sont très inspirants et nous font rêver sans aucun doute. Mais c’est rare qu’ils s’embêtent à recruter un consultant bushcraft pour crédibiliser les techniques »nature » et faire les bons gestes. Je m’amuse souvent à regarder les feux dans les films par exemple, qui font de belles flammes, sans fumée, sans vent, le bois posé n’importe comment et même parfois le bois encore « blanc » (intact). Bref, il y a un tube de gaz enterré qui débouche au milieu du foyer et paf moteur, allumez le gaz, joli feu instantané ettttt… action ! C’est ça qu’il faut retenir dans les films, ils mettent en scène de beaux moments, comme les photos sur Instagram, mais ne représentent pas forcément la réalité.
Je me souviens d’une série (amour, social, groupe d’amis) où les personnages partent en camping, l’un d’eux frotte deux silex et paf les flammes partent aussitôt, on met l’eau à bouillir, bon app’ ! Donc, prenez votre motivation de sortir en forêt dans les films si vous le voulez, mais allez-y avec des pincettes.
Il en va de même pour les séries bien sûr, comme Lost ou I-land qui sont très hasardeuses bien que démontrant des personnes en situation de survie. Les priorités décrites ne sont pas bonnes, les gestes très cinématographiques (avec une vision enfantine et simpliste). Attention également aux émissions apparemment axées vers la survie, alors qu’elles sont en fait premièrement de la télé-réalité et non un programme éducatif et deuxièmement ça reste du cinéma, on joue à quelque chose, mais pas en situation réelle. Je pense par exemple à Koh Lanta chez TF1 ou The Island chez M6. Il ne faut pas croire que les candidats vivent réellement dans les conditions que le montage nous montre (sans manger, sans dormir, nu… mais les sourcils bien taillés, les dents parfaitement blanches, les mains propres, pas de brûlure solaire…). Ne serait-ce par ce que les sociétés de production seraient responsables de non-assistance à personne en danger, mise en danger d’autrui, séquestration, etc… On ne plaisante pas avec la survie ou la vie dans la nature. Donc je comprends largement qu’ils mettent simplement en scène, c’est juste dommage de laisser le public croire que c’est de la réalité.
Documentaires éducatifs
Là on commence à parler comme je l’aime ! Si vous voulez débuter dans le bushcraft ou vous perfectionnez, trouvez tous les documentaires qui traitent de nature, de tribus vivant encore des gestes premiers (chasse, glanage, fruits sauvages…). Je pense par exemple à tout ce qui traite des tribus en Amazonie, en Afrique, en Papouasie, en Australie (pourquoi pas les Maoris néo-zélandais mais ils se sont un peu plus modernisés).
La référence que j’aime citer dans ce domaine est l’ensemble de l’œuvre de Ray Mears pour la BBC entre autre. Il est celui qui a vraiment donné ses lettres de noblesse télévisées au bushcraft, allant débusquer les dernières tribus encore en activité (pratiquant les gestes anciens j’entends). Il prend le temps d’expliquer, il questionne, avec des traducteurs, il détaille, c’est un véritable professeur (pas pour rien qu’il a monté son école de bushcraft Woodlore en Angleterre). J’ai souvent lancé des épisodes en pleine forêt pour revoir des gestes, des noms de plantes, assis sur une souche les outils à la main, mimant le maître. Je me souviens par exemple du panier en osier ou du récipient en écorce de bouleau. C’est lui qui m’a appris que l’écorce des arbres était plus épaisse dans les pays scandinaves à cause du climat froid, alors qu’en France on avait une température assez clémente et donc notre bouleau n’est pas optimal pour ce faire.
Une autre chose que j’ai bien aimée avec les séries de Ray Mears est qu’il ne définit pas forcément le bushcraft comme quelque chose de purement américain. Il fait aussi le tour des pays européens, raconte leur passé en lien avec le bushcraft et les gestes nature, il remonte aussi le temps pour étudier nos pratiques.
De façon générale, toute série historique est bonne à prendre. Une autre bonne façon d’entrer dans le bushcraft est via l’archéologie expérimentale. J’aime bien lorsque je visite des musées d’histoire naturelle, prendre des photos et demander des mesures des outils préhistoriques pour reproduire les gestes. C’est ainsi qu’on peut se mettre à la taille du silex pour produire des formes ou des outils, c’est toujours sympa et cela nous amène ensuite à réfléchir aux colles naturelles (à base de charbon, de résine, de braie, aux tendons d’animaux qui une fois mouillés sont aussi souples que de la ficelle et se resserrent en séchant. Ils sont souvent utilisés pour emmancher de la pierre et de l’os, ou du bois, pour faire des flèches.
En partant de cela, le jour où peut-être vous piégerez un animal pour le manger, vous pourrez récupérer les tendons et la peau, et fabriquer quelque chose d’utile pour répondre à vos besoins. Je pense notamment à la colle résine/charbon qui donne un bon liant pour réparer un canoë par exemple, le temps de pousser jusqu’à l’autre rive d’un lac pour mieux réparer. Vous direz alors merci à ce reportage Arte que vous aviez regardé à 2 h du matin un soir en donnant le biberon au petit dernier.
Donc en résumé, tout reportage (ou documentaire) lié à l’histoire, à l’archéologie, à la culture, peut avoir un rôle éducatif pour vous et bien sûr si cela s’appelle bushcraft quelque chose, c’est encore mieux ! Un bon moyen pour trouver quelque chose, est de chercher en fonction des personnes (experts en bushcraft) et de vérifier tout ce qu’ils ont tourné. On peut citer Ray Mears, Mors Kochanski (moins en vidéo), Ron Hood, Dave Canterbury. Ne pas négliger non plus les apports de Cody Lundin, Les Stroud et Les Hiddins.
Les livres
Je ferais court de peur de me répéter, car beaucoup de personnalités du bushcraft sont autant connues pour leurs émissions ou chaînes YouTube, que pour leurs livres.
Dans l’ordre, je vous conseillerais de commencer par l’œuvre majeure de Mors Kochanski « Bushcraft » qui est l’un des premiers livres du domaine, qui a lancé toute une génération d’aventuriers (en fait, tous les autres presque !) sur les pistes. Ensuite, pour apprendre à s’ouvrir à d’autres milieux naturels et des techniques plus rustiques, The 10 Bushcraft Books de Richard Graves, qui a pas mal voyagé en Afrique et en Australie. Ensuite, Essentiel Bushcraft de Ray Mears semble bien pour, une fois les techniques de base maîtrisées, s’intéresser au biotope « européen » (la bonne vieille forêt en climat tempéré). Il a fait ses premières armes dans le sud de l’Angleterre et la nature y est similaire à n’importe quelle forêt française (j’avoue qu’en Bretagne je suis particulièrement bien servi pour une fois, car on retrouve les mêmes essences d’arbres, les mêmes plantes, le même climat…).
Il serait bien dommage de se priver de lire Bushcraft 101 par Dave Canterbury, qui a été récemment traduit en français en plus donc bon plan pour tous les francophones (je n’échangerais ma version anglaise dédicacée pour rien au monde hé hé). Certains le trouvent un peu technique et manquant d’illustration, pourquoi pas, mais du coup Dave a également sorti Bushcraft Illustrated et là, on ne peut pas dire que cela manque de dessins et cela met tout le monde d’accord. Personnellement, j’aime les schémas, mais j’en suis rendu à une étape où j’ai étudié la plupart des grandes familles de techniques connues, ou bien je les visualise assez bien pour ne pas avoir besoin d’un dessin. Par contre, avoir le détail d’un maître sur l’inclinaison précise d’un outil, l’essence particulière d’un bout de bois, la texture recherchée, les poils sur la tige d’une plante… c’est surtout cela que je recherche, donc pour moi, c’est un livre idéal pour les bushcrafteurs avisés voir expérimentés. On n’arrête jamais d’apprendre, peu importe nos années de pratique.
Le bushcraft étant une discipline très vaste, regroupant au bas mot une vingtaine d’autres disciplines (chasse, pêche, tannage, pistage, sellerie, vannerie, botanique, bûcheronnage…) tout livre traitant de ces domaines sont à dévorer avidement. Je pense par exemple à un livre basique de matelotage pour les nœuds, un livre sur les plantes comestibles, un livre sur les charpentes ou le travail du bois. À ce sujet, voir la réédition récente de l’excellentissime et scoutissime Froissartage par Michel Froissart qui sans le savoir est pour moi l’un des pères de la branche française du bushcraft moderne. Il mélange savoirs paysan, traditionnel, forestier, scout forcément, mais comme le bushcraft est l’ancêtre du scoutisme cela a du sens. J’ai déjà cité dans un autre article le Guide pratique des plantes sauvages de Laurence »Hildegarde » Talleux, mais il vaut la peine d’être lu, avec une méthode très fonctionnelle (OSAPIC). Je vous recommande aussi les éditions Salamandre (mes préférés : Guide dans les bois et Guide des traces et indices qui vaut presque un Delachaux) qui font plein de guide spécialisés sur un domaine précis (la campagne, la montagne, la forêt, la mer, les plantes…).
En termes de livres, la liste est longue, mais j’ai récemment eu entre les mains un livret de préparation à l’examen du permis de chasse. Alors oui, la chasse est un sujet compliqué, mais parmi les questions posées à l’examen on trouve une mine d’informations sur faune, leur cycle de reproduction, les zones de vie, le rythme de vie, etc. C’est tellement dense et complet, bien souvent le livret s’achète pour 5 €, c’est donné.
Enfin, concernant les livres d’inspiration bushcraft, j’ai une liste de livres que j’ai personnellement lus (je ne peux pas parler de ceux que je n’ai pas encore lus) et que je vous recommande. Ils ne sont pas à visée éducative concrètement, mais on y apprend pourtant plein de choses, car leurs auteurs décrivent leur vie quotidienne dans le bush, sauvage et isolé. Espèces de plantes, recettes, habitudes d’animaux, bons gestes, c’est très formateur je trouve et moins pointilleux qu’un guide technique. Je peux citer à cet égard Walden ou la vie dans les bois (HD Thoreau), Croc Blanc, mais surtout l’Appel de la Forêt qui est le nom de votre sentiment de manque vis-à-vis de la nature (vous ressentez »l’appel de la nature »). Récits de la cabane abandonnée (Grey Owl), Indian Creek (P. Fromm) qui a lancé toute une génération de bushcrafteurs américains à partir en sac à dos pour expérimenter la forêt. L’excellent Nessmuk aussi bien connu outre-atlantique (écrit par Georges W. Sears).
De façon générale toute la littérature d’aventure américaine (ou de conquête américaine) de 1850 à nos jours peut vous réhydrater un peu si vous êtes assoiffés. Je cite par exemple l’éditeur Gallmeister qui a acquis les droits de la plupart de ces œuvres dont je parle. Je conclus cette partie livre par tout livre écrit par une personne ayant vécu des années dans une nature isolée ou y vivant régulièrement comme des explorateurs (Nicolas Vannier ou Sylvain Tesson en France), ou des histoires vraies de survivants qui ont dû se débrouiller.
J’en profite pour faire un coup de projecteur sur mon petit frère spirituel dans le bushcraft, Jacob Karhu, qui sort son livre (déjà en précommande à la Fnac) « Vie sauvage, mode d’emploi » où il raconte sa vie dans un refuge de montagne pendant 7 mois. Refuge qu’il a rénové de ses mains quasiment sans aide et avec goût (#PaysagesALaPeinture). Je suis content d’avoir pu l’aider un tout petit peu, à installer 3-4 planches, mal planer une rambarde de lit et lui sculpter un manche de hache qui n’a tenu que 2 jours (le nœud pile au mauvais endroit, il a eu un bel enterrement sur musique écossaise au feu de bois). Jacob fait partie de ces jeunes français qui vont à leur tour faire rêver la prochaine génération de bushcrafteurs en couche-culotte, il est un passeur de nature, humble, instinctif et observateur. Son cursus scientifique ne fait que lui donner davantage de clés pour comprendre la Nature. Je ne veux pas qu’il soit forcé de changer de taille de chapeau alors je vais m’arrêter là.
Les forums
C’est ainsi que j’ai commencé pour ma part. J’ai déjà cité dans un article précédent le forum www.bushcraft.fr qui est une mine d’informations sur le domaine avec des sous-thèmes dont je n’ai jamais entendu parler (en même temps on ne peut pas tout savoir). Par contre, effectivement, certains sont parfois un peu trop tatillons je me dois d’être honnête, car cela peut en refroidir plus d’un. L’alternative serait d’aller le lire sans parler, mais ce ne serait pas en adéquation avec l’esprit d’échange qui a contribué à nourrir ce forum qui ne pourra continuer de s’enrichir que de cette façon.
Concernant la méthodologie, la mienne fut simpliste : j’ai lu tout le forum, page par page, prenant des notes, essayant dans mon jardin, allant me balader à vélo pour trouver des coins où pratiquer. Cela m’a pris 6 mois au bas mot, tout un automne et un hiver. Au printemps suivant je sortais de ma chrysalide avec des centaines de projets et de choses à mettre en pratique.
Il existe sûrement d’autres forums que celui-ci bien sûr, mais l’idée est de trouver un groupe de passionnés comme vous, à qui on peut poser des questions, qui ont envie d’échanger et de transmettre. Si on se moque de vous, qu’on vous corrige sur votre orthographe (bon il faut faire un minimum d’effort, même si vous avez arrêté l’école à 12 ans) ou qu’on vous embête pour un mot mal utilisé, allez ailleurs : l’internet est vaste et plein de gens assez patients pour tolérer vos imperfections. Il faut pouvoir être dans l’échange pour se forger sa propre compétence, singer au début, innover par la suite, une variante après l’autre jusqu’à trouver ce qui vous correspond le mieux. Par exemple au début, j’essayais beaucoup le feu à l’archet, mais ayant un certain petit ventre la position ne me plaisait pas. Eh bien petit à petit je me suis orienté vers le firesteel et puis voilà, personne n’est forcé de faire comme les autres. Le bushcraft est justement orienté vers l’esprit d’innovation, de découverte, d’expérimentation et d’une certaine façon la recherche du plaisir.
Je glisse dans la même catégorie les sites internets qui proposent du contenu pédagogique. J’en suis le premier consommateur quand je prépare un nouvel atelier (récemment : ichnologie et photographie animale). Alors oui, je pourrais certainement à titre personnel étoffer mon propre site de plus de contenu pédagogique, mais c’est compliqué de trouver la frontière entre dur labeur rémunéré et bénévolat, quand votre compétence professionnelle est le hobby des autres. Pour le moment, je fais ma part de colibri sur ma page facebook avec des infographies informatives et éducatives, chaque semaine.
Je pense sinon au travail numérisé d’associations qui œuvrent autour de la nature et qui diffusent leurs contenus librement sur le net. Je pense aux passionnés qu’ils soient herboristes, chasseurs, élagueurs, blogueurs, randonneurs… Plus d’une fois j’ai pu trouver une zone de bivouac en lisant le compte rendu d’aventure d’un passionné anonyme que j’aurais aimé remercier chaleureusement.
Simplement, il faut faire la part des choses en fonction de la légitimité de la source. Si c’est un passionné non-formé, sans être paranoïaque, j’ai pris l’habitude de re-vérifier systématiquement les informations avant de les réutiliser. On ne sait jamais qui pourrait se blesser avec quel savoir, autant bétonner ce que l’on transmet. Parfois, même en donnant des consignes précises, en présentiel, certains arrivent quand même à se couper, par exemple (dédicace aux deux animateurs nature du 35 qui se sont coupés à 15 minutes d’intervalle après avoir sorti « t’inquiète on gère », ils ont quand même chacun fini leur cuillère ha ha). Ce qui m’amène à parler des réseaux sociaux, vous allez voir que si je les apprécie comme vecteur de diffusion, on n’y trouve pas que du solide pour autant.
Les réseaux sociaux
Allons droit au but, comme une certaine équipe sportive non-bretonne, on parle surtout de Facebook. Je connais assez peu de monde sur VK (l’équivalent russe, 25ᵉ site le plus visité au monde). Sur Twitter on sort des punchlines, mais peu d’articles ou de pédagogie. Sur Instagram c’est beaucoup de stratégie de marque ou de sponsoring (on représente une marque et on dit qu’elle est trop bien ! La base du donnant-donnant je suppose) et assez peu d’apprentissage finalement (mais il en faut, pour la qualité des photos que certains postent).
Du coup, que trouve-t-on sur le bushcraft via Facebook ? Le format en lui-même est limité, pas comme un forum, on peut écrire et se voir répondre par autrui, mais rapidement tout s’emboîte et devient moins lisible. Certains répondent en commentaires et non en « réponse » du coup on s’y perd, et au bout de 5 ou 6 commentaires tout s’enroule et il faut cliquer de partout pour tout lire. Sur le téléphone les notifications renvoient parfois à la publication, mais pas à la réponse donc il faut chercher 30 secondes où c’est qui a répondu quoi. C’est pratique pour diffuser, débattre très brièvement et sans sérieux, mais pas pour échanger au long terme, encore moins pour archiver. Je crois que seulement 20% des gens savent utiliser la LOUPE (recherche) sur les groupes Facebook. On se fait souvent insulter ou manquer de respect, les gens répondent depuis leurs toilettes avec le pouce, donc ils n’écrivent pas de façon structurée ou longue, beaucoup d’abrégé, dur d’apprendre dans ces conditions. Souvent cela termine en blague vulgaire ou en avertissement d’un modérateur lui-même assis dans ses toilettes entre deux vidéos de football ou de chat qui pète. On se sent puissant sur Facebook, tout le monde a un avis sur Facebook, c’est problématique. On peut critiquer les « vendeurs de stages » comme certains nous appellent, mais nous sommes des professionnels de notre discipline. Cela signifie que nous prenons le temps d’exposer correctement les données, en nous adaptant à nos interlocuteurs, en répondant avec compétence sur des points techniques. Les amateurs ayant moins l’habitude de le faire, se contentent souvent de réponses vagues ou sarcastiques, voire offensantes. Je pourrais donner une centaine d’exemples concrets où j’ai pu le constater. Parfois, on me reproche d’être hautain parce que j’argumente, ou on me sort « mais tu te prends pour qui ? » parce que je ne suis pas d’accord. Vous voyez l’ambiance.
Je ne dis pas qu’il faut se passer des réseaux sociaux, pour découvrir de nouvelles chaînes youtube c’est top ou un site internet, un artisan, un moniteur de bushcraft soyons fous. Mais si vous voulez échanger cordialement et en profondeur sur un sujet, les forums privés sont le meilleur endroit. On ne fait pas l’école dans un bar, il y a une raison (même si cela plairait à certains).
Par contre, pour suivre l’actualité de certains professionnels (auteurs, vidéastes, youtubeurs, moniteurs) cela vaut également le coup ! Lorsque ces derniers font des directs très instructifs ou organisent des événements, le système de clic j’aime, intéressé, participe, permet de ne pas oublier ce qui nous intéresse et de les faire apparaître chez les copains, copines.
Je conclus cette sous-partie réseaux sociaux en mentionnant évidemment Youtube qui est devenu incontournable depuis 10 ans, malgré ses pénibles publicités. Combien d’heures ai-je pu passer à regarder les vidéos de MCQ Bushcraft (Mike) avec sa voix calme et son accent britannique, prendre des notes ou râler mon désaccord sans qu’il m’entende ; Trustin Timber avec sa ravissante moitié qui monte des cabanes délirantes avec beaucoup de bon sens et qui a un réel sens de l’esthétique dans ses photos ou ses prises de vues, accessible pour causer (en anglais). Bien sûr les vidéos de Ray Mears en boucle, sans négliger de voir son grand ami (humour, les deux ne s’apprécient pas forcément) Bear Grylls pour comprendre ce qui n’était pas du bushcraft. Reallybigmonkey1 m’a aussi beaucoup fait rire avec son southern accent américain, mais des idées à la pelle, loufoques ou sérieuses. Je suivais aussi bien sûr les vidéos de mon copain Jacob Karhu. Plus récemment Bertram le forgeron viking du Danemark m’a fait passer quelques petits-déjeuners au calme (même s’il doit passer plus de temps à marcher pour gérer la caméra qu’à pratiquer, mais c’est indispensable quand on veut sortir de la qualité). J’aimais bien regarder Survival Lilly aussi, même si la pédagogie n’est pas toujours au rendez-vous et qu’elle préfère vivre le moment que de réellement tester des choses techniques (entschuldigung mein lieber Lilly). Felix Immler mérite aussi d’être cité, expert allemand du travail au couteau suisse, il a sorti un livre et il est délirant, ça met la pèche le matin. Je cite aussi TA Outdoors pour toutes ses longues séries (que de boulot de montage !) sur les constructions viking-isantes (par vraiment historiques en somme) et la bonne humeur du travail en forêt avec son père et ses amis. N’ignorons pas plus non plus l’ami Primitive Technology (John Plant) qui est spécialisé en paléo-bushcraft et en survie primitive, très inspirant. Côté « très matos et bière à chaque bivouac » j’ai bien aimé Joe Robinet aussi, même si ce n’était pas pédagogique pour un sou, c’est un bon exemple d’un gars non-prise de tête qui amène son chien, parfois sa fille, en forêt, il se pose, il fait ses affaires et à chaque repas il boit une bonne bière fraîche au coin du feu. On n’est pas vraiment dans le bushcraft mais quand j’étais privé de forêt pour diverses raisons pro, cela me détendait. Enfin, pour en apprendre plus sur les métiers improbables la chaîne Passe-moi les jumelles était toujours au rendez-vous. Concernant ma chaîne, je me doute qu’elle n’est une source d’inspiration pour personne, car je n’ai que 6 vidéos et avec le couvre-feu, les confinements, etc. j’ai du mal à m’y remettre. C’est du travail pour sortir de la qualité, vous disais-je plus tôt !
Les stages
Évidemment, vous me direz que je fais ma publicité. Ne soyons pas naïfs, chaque expert d’un domaine qui prend la peine de rédiger du contenu accessible gratuitement le fait pour se faire connaître, c’est le jeu. Je comprends les arguments des « anti-stages » mais je comprends aussi qu’ils n’ont jamais essayé pour en parler avec autant de véhémence.
De la manière qu’ils le présentent, nous faisons payer « des pigeons » pour marcher dans la forêt, alors que tout le monde en est capable. C’est un peu comme reprocher de payer un professeur pour simplement garder des enfants assis dans une salle. Ils ne font pas que cela, il faut être de bonne foi, il en va de même pour les organisateurs de stage. On m’a même donné comme exemple l’autre jour une association, dont une personne que je connais pour être vraiment « anti-stages » disait que c’était une superbe initiative. Il ajoute « et ils ne font payer que leurs frais divers ce n’est pas pour faire de l’argent ». Je regarde attentivement et en réalité le prix individuel du stage était tout juste 20 € moins cher que mon prix individuel. Comme quoi, quand on a décidé de voir le mal partout, il est difficile d’être objectif, c’est vraiment dommage. Surtout, je trouve regrettable qu’on n’arrive pas à faire la part des choses entre « je sais plein de choses, je ne trouve pas ça utile » et « certaines personnes n’y connaissent rien et je comprends qu’ils ressentent le besoin de passer par un professionnel ».
Je me dois de briser les clichés, mais oui, on apprend des choses en stage. La semaine dernière, j’ai reçu un ancien militaire, 18 ans de service, 3 OPEX (missions à l’étranger). Autant en bon ancien marin il s’est ennuyé 10 minutes sur la partie orientation (quoi que, il savait utiliser un compas marin fixe et une carte maritime, moins bien une boussole mobile et une carte terrestre), autant sur la partie nœuds, hamacs, empreintes, il a écouté comme un enfant de 9 ans et on a bien échangés sur nos pratiques. Si on peut apprendre une grimace ou deux à un vieux singe, je ne crois pas que ce soit une escroquerie. On apprend également aux gens les bons gestes, directement sans passer par la case « 1 an de pratique tout seul dans son coin ». Alors oui, certains adorent faire les choses en solo, galérer un peu, s’en sortir soi-même et se dire « je l’ai fait ». Mais d’autres ont envie d’aller à l’essentiel, sans se blesser, sans se tromper plein de fois et surtout voir plein d’autres choses, se rassurer en groupe pour anticiper les moments où ils seront seuls.
Sans parler de la convivialité du groupe et de la diversité de l’échange. Je ne suis pas le seul professeur sur un stage de deux jours, chaque stagiaire est détenteur de savoirs que lui seul connaît. J’ai passé de longues heures seul en forêt, des centaines d’heures à vrai dire. Quand je le choisis, c’est agréable. Mais parfois, on s’ennuie un peu, même si on chante, on se parle, on s’encourage. Au bout d’un moment on a envie de voir du monde et les stages apportent cette solution. On peut aussi en profiter pour comparer ou troquer son matériel. Il y aura le stagiaire ancien militaire qui aura encore son matériel de dotation (kaki, rustique, lourd, mais solide) et qui ne jure que par lui, le randonneur psychopathe qui traque le moindre gramme (rando MUL) pour s’alléger, le randonneur casual (occasionnel) qui pique à droite à gauche des disciplines par pur opportunisme, le roi de la récup qui fait un récipient avec une ancienne boîte en poudre pour bébé et qui apprendra au groupe comment faire un P3RS (réchaud à alcool fait dans une cannette).
Bien sûr, n’oublions pas le ou les moniteurs qui sont le noyau dur et garants pédagogiques du bon apprentissage au cours du stage. Ils ont généralement de nombreuses années d’expérience dans la nature, ils ont voyagé, vu d’autres cultures, d’autres manières de faire, ils ont lu de longues heures des livres ou des PDF très techniques pour en tirer des synthèses qu’ils ont couchées sous forme d’ateliers. Ils vous font gagner du temps dans l’apprentissage, vous orientent vers les bonnes lectures ou les sites intéressants, vous aident à choisir du matériel qui vous correspond, vous apprennent concrètement des gestes et des astuces issues de leur pratique. C’est tout cela qu’on paie quand on choisit de passer par un moniteur de bushcraft (et/ou de survie).
Lire aussi : Survivre 3 jours en forêt
Je souris toujours allègrement en regardant le programme d’un collègue moniteur bushcraft, car j’aime voir ce qu’il enseigne par rapport à moi, parler avec lui de ses choix et des motivations, faire évoluer mon point de vue et me remettre en question. Untel était menuisier avant, c’est tout naturellement que sur ses stages bushcraft on fera plus de froissartage que du reste, pourquoi pas. Moi, je suis un ancien fainéant, donc je montre beaucoup d’astuces pour répondre à tous nos besoins en faisant le moins possible. Un autre est ancien botaniste donc tout passera par la cuisine. Pourquoi pas ! Le savoir demeure et sa diversité également, c’est ça qui devrait intéresser les personnes et non la légitimité de passer par un professionnel pour pratiquer la nature.
Nous ne disons pas qu’elle est dangereuse, mais tout dépend de ce qu’on y fait et où on le fait. Tailler un bâton dans son jardin en zone semi-urbaine avec un couteau, c’est marrant, mais se couper le tendon du pouce en pleine forêt à 2 h de marche du parking, c’est moins fun.
Ne faisons pas l’erreur de croire que parce que nous vivons dans un pays où la nature est morcelée et peu présente, elle ne représente pas un danger pour l’être humain non-formé et qu’elle ne nécessite pas parfois un peu d’encadrement pour les activités les plus denses, comme passer 2 ou 3 jours en forêt sans confort moderne. Surtout que rien n’interdit de visiter un autre pays un jour, on sera bien content d’avoir des bases solides.
Ne faisons pas non plus l’erreur de penser que, parce qu’on a fait plein de choses, on n’a plus rien à apprendre (les moniteurs les premiers). Je me souviens juste avant le premier confinement voilà un an, j’étais invité à tenir mon stand sur un Salon de la Pomme dans le 56 (Morbihan). J’ai passé une heure assis devant un vieux monsieur qui parlait des champignons, comme un étudiant, puis une heure à observer un éleveur tondre un mouton, une heure à regarder le pressoir à pommes en fonctionnement, à poser des questions. C’est génial de pouvoir continuer à apprendre, alors oui si les gens vivent de cette activité, il faut payer, j’ai envie de dire comme un peu tout dans notre civilisation.
C’est le résultat de l’hyper-spécialisation individuelle que nous avons décidé de pratiquer depuis que nous avons bâti le premier village. Inutile que chacun sache tout faire moyennement, si chacun sait une chose parfaitement ça sera sa monnaie d’échange avec ses semblables. En espérant que cet article vous aura donné des pistes de réflexion pour débuter ou continuer de vous former au bushcraft. Si en retour vous avez envie de citer des chaînes, des livres, des séries, je suis preneur en commentaires !
À bientôt dans la verte !