Vous êtes partis en rando et vous êtes perdus ? Ou lors d’une excursion de groupe aux Chutes de la Forêt Enchantée, le car est reparti sans vous… Ou vous avez eu un accident de voiture en pleine forêt dans l’Est de l’Europe, aucune habitation autour ? Pas de bol ! Mais avec le bon comportement, vous tiendrez largement 3 jours, même sans matériel. Voyons comment, avec méthodologie !
Qu’est-ce que survivre ?
La définition de la survie est à ne pas confondre avec le survivalisme et le bushcraft, qui bien qu’étant cousins, ne sont pas les mêmes domaines. Ceux qui pensent que oui, confondent les bases de ces disciplines et perturbent les débutants qui, voyant des définitions contraires à profusion, se perdent ou se désintéressent. On peut toujours donner « sa définition » bien sûr, mais il faut le préciser alors.
La survie, est l’ensemble des savoirs théoriques et des techniques appliquées, permettant de prolonger la vie humaine. C’est une définition très générale qui entraînera l’accord de tous, je pense. On peut rajouter que les techniques varient selon le biotope, le matériel, la préparation des personnes, mais cela est déjà une définition plus spécifique, qui ne collera pas à tous.
Le bushcraft quant à lui, si cher à mon cœur, est un ensemble de savoirs et de techniques permettant la vie dans la nature, à long terme. On peut donner des exemples pour illustrer un peu en expliquant qu’on y inclut des artisanats du fer, du bois, du cuir ; qu’on y inclut forcément la partie cuisine sauvage, la connaissance intime des arbres et des plantes de son milieu. Mais plus on précise, plus on va perdre les gens qui ne pratiquent pas tel ou tel exemple.
Le survivalisme est un courant alternatif de pensées, issu du courant des preppers américains de la Guerre Froide. Il consiste à étudier les causes possibles d’une rupture de la normalité sociétale et de parer à ses éventualités en réfléchissant sur la conduite à tenir ; voire le cas échéant à préparer du matériel ou des connaissances pour s’en prémunir. Également, on pourrait citer des exemples de domaines à maîtriser (self-defense, protection du domicile, autonomie alimentaire et énergétique) pour se prévaloir de ce courant, mais en donnant trop d’exemples on perdrait certaines personnes.
On peut parfaitement pratiquer les trois, voire les trois en même temps ; c’est de là souvent que vient la confusion qu’ils sont la même chose. On peut aller bivouaquer (ce qui n’est pas nécessairement du bushcraft) avec une certaine notion de confort (comme dans un trou de Hobbit), tout en s’entraînant à des ateliers de survie (peu de matériel, priorité à la débrouille), pendant un scénario simulé d’évacuation de son domicile. Comme, lorsque je vais pêcher, je peux dormir sur place (camping) et marcher jusqu’à une rivière (rando). Pourtant, chaque discipline est bien séparée si on s’intéresse à leurs définitions propres.
Dans cet article il sera bien question de survivre, prolonger sa vie pour ne pas mourir, pardonnez-moi le pléonasme. À ce propos, je milite pour qu’on utilise le mot surviviste pour les pratiquants de la survie, faites tourner le mot jusqu’à ce qu’il devienne une évidence, ha ha !
Connaître ses besoins
En se référant à un outil bien connu, la pyramide de Maslow, on peut à la fois connaître ses besoins et les prioriser.
Maslow :
En résumé : manger, boire, dormir, respirer, se chauffer, se protéger. Voici donc notre cahier des charges pour prolonger notre vie pendant 3 jours. Nous détaillerons tout cela plus après.
Concernant nos besoins chiffrés (apports en nutriments) je vous renvoie à l’article sur l’introduction au bouffecraft.
Ça n’arrive qu’aux autres
Je sais bien que pour les initiés, survivre 3 jours est un non-sens car aucune difficulté majeure ne se pose dans une forêt européenne sur 3 jours. On a souvent une route non-loin, du passage fréquent peu importe le moyen de locomotion, un téléphone qui capte, une connaissance générale de l’orientation (ville au sud, parking à l’ouest…). Pourtant, le SNOSM qui est un organisme français rassemblant des données sur les activités dites de montagne, indiquait 83 morts en randonnée pour 2012. En 2017-18 le nombre était de 106 (soit environ 53 par an). On comprend donc que, malgré ces soi-disant conditions idéales en Europe, on a environ 50-80 morts par an en randonnée en France. Cela fait entre 50 et 80 de trop à mon goût et motive largement cet article et votre lecture attentive de ce dernier.
Je vous invite à consulter les statistiques de cet organisme. On y apprend par exemple, qu’il y a cinq fois plus de morts à la pêche qu’en kayak, alors faites du kayak ! Ou alors, que la randonnée représente le plus fort taux de morts comparée aux autres activités de montagne (alpinisme, ski…).
En comparant avec les autres activités, on constate que plus l’activité semble dangereuse et implique la mobilité de l’accidenté, plus le nombre de morts augmente. A contrario donc, moins vous vous placerez dans une situation dangereuse et moins vous bougerez, moins vous serez en danger.
Tout ça pour dire quoi ? Remplir nos besoins en situation de survie doit respecter ces deux facteurs : ne pas se mettre en danger pour les assouvir, éviter de trop bouger pour trouver ce qui nous manque.
En passant du danger que représente le mouvement, à la dépense qu’il implique, on parvient à poser comme base la nécessité énergétique, qui est un principe de base en survie. Si je dois dépenser 1cl d’eau pour gagner 1cl d’eau, alors autant ne rien faire. Si je dois dépenser 1cl d’eau pour gagner 2cl d’eau, ce n’est pas terrible car je ne gagne que 1cl d’eau au final. Alors que si en dépensant 10cl d’eau (je me penche au bord d’une rivière) je gagne 2L d’eau, c’est le jackpot. Cette règle doit devenir une obsession pour vous au déclenchement d’une situation de survie.
Réagir dans l’ordre
Pareillement à ces marches gravées dans la pierre, on peut et parfois on doit, réagir par étapes. De nombreuses écoles de survie ont inventé un acronyme qui leur est propre pour s’en souvenir, inspirées par les experts américains ayant formé les premiers pilotes en 39-40 à des crashs dans les forêts chinoises ou russes.
L’acronyme qui a retenu mon attention, traduit de l’américain au français nous parle de toujours avoir un PLAN.
1er réflexe : P pour protection, se protéger d’un danger imminent (qu’on retrouve en secourisme dans le PAS : protéger-alerter-secourir). Consiste à éviter le sur-accident ou l’accident tout court si vous êtes indemne.
2ᵉ réflexe : L comme localisation, se repérer dans l’espace et le temps, savoir où on se trouve ou au moins, savoir s’orienter a minima.
3ᵉ réflexe : A comme analyse ou A comme Abri selon. Analyse de la situation si votre environnement n’est pas un danger (pas de neige, pas d’inondation, pas trop chaud ni trop froid). C’est par exemple refaire le chemin dans votre tête, revoir le contenu du sac pour se rassurer et nos options envisageables. Abri si cet environnement est un danger car souvent on réalise être perdu en fin de journée et la nuit tombe toujours trop vite.
4ᵉ réflexe : N comme nourriture. Alors celui-là est à prendre avec des pincettes, nous verrons pourquoi plus tard. Mais en résumé, à 3 jours des secours, la nourriture ne sera pas votre priorité.
La règle de 3
Avoir un PLAN c’est top, mais pour savoir prioriser l’assouvissement de ses besoins, il existe la règle de 3 de l’expert américain Ron Hood. Pour ceux qui ne le connaissaient pas, c’était le type que Bear Grylls appelait en renfort quand il lançait une nouvelle émission et qu’il avait besoin d’un conseiller en survie. Malheureusement décédé en 2011 (RIP), il laisse néanmoins des écrits complets et des vidéos en langue anglaise fort utiles. Dedans, on retrouve sa règle de 3, utilisée aujourd’hui dans la plupart des écoles de survie du monde (la Skol Louarn y compris).
Elle permet de se souvenir, de façon simple, des priorités du corps humain, combien de temps une personne peut vivre sans…
- 3 secondes sans attention
- 3 minutes sans oxygène
- 3 heures sans abri
- 3 jours sans eau
- 3 semaines sans nourriture
- 3 mois sans espoir / contact humain
(pour le dernier, l’auteur parle en anglais d’amour dans le sens espoir, d’être retrouvé ou d’être réinséré dans une routine qui fait sens pour l’accidenté).
Certains pinailleront sur le fait qu’on peut tenir 1 minute ou 6 minutes sans air. D’autres diront qu’ils ont fait le chemin de Compostelle pendant 30 jours sans manger donc « ma » règle est nulle… C’est une règle absolue pour se souvenir de nos priorités, prenez-là comme telle.
Le danger immédiat : 3 minutes
On parle peu des 3 secondes, mais on voit bien ce que cela implique : le coup de hachette, le coup de couteau, lever les yeux en marchant pour admirer un aigle sur un sentier en bord de falaise et tomber. Vigilance constante donc, bien que cette règle des 3 secondes soit avant tout du bon sens.
Donc, la première grosse partie est un donc danger immédiat sous 3 minutes. On pense à la noyade, l’avalanche (l’air était isolant on peut vite manquer d’air à 3 m sous la neige), les fumées toxiques. Si on ne peut pas respirer efficacement, il faut s’en aller sur-le-champs et ne pas attendre d’hypothétiques améliorations. « Sinon, vous mourrez, fin de l’histoire » ponctue Ron Hood sans ménagement. Dans notre cas en forêt, ça devrait aller.
Le danger latent : 3 heures
La deuxième partie est un danger latent en cas de saison extrême (hiver ou été) ou de lieu extrême (neige ou désert). Il va de soi qu’en plein été, dans les forêts roumaines, vous tiendrez plus de 3h sans abri. Par contre l’hiver à 2000m dans les montagnes croates, vous ne verriez pas la fin des 3h, sans abri et sans équipement performant. Exemple parlant : on estime que le corps humain peut tenir 15 minutes dans une eau à 5°c, pour une personne enrobée (genre Obélix) on peut monter à 30 minutes.
Le danger de la déshydration
La troisième partie concerne l’eau, elle nous apprend une leçon essentielle : ne commencez pas à boire votre pipi parce que vous avez vu un type boire le sien (ne cherchez pas, c’était Bear Grylls). Le pipi PEUT être bu dans certaines situations et circonstances, c’est un fait scientifique. De là à dire qu’il faut le faire… Non, mais surtout la partie essentielle : ne cherchez pas à boire de l’eau tout de suite comme si vous alliez en mourir. Si vous en avez peu, il faut aussitôt commencer à la rationner.
En forêt, peu importe laquelle, vous trouverez de l’eau, qu’elle vienne du ciel car la forêt n’a pas poussé par hasard, ou qu’elle vienne du sol. La vraie question sera de comment la rendre accessible puis potable. Les maladies présentes dans l’eau mettent 4-5 jours pour attaquer l’organisme (quoique, le choléra c’est 1-3 jours). Donc si vraiment vous êtes en plein désert et que c’est boire ou mourir, mieux vaut boire. Mais si vous ne pouvez pas traiter l’eau, vous saurez que 5 à 6 jours plus tard, les problèmes intestinaux commenceront.
C’est là que la règle de la nécessité énergétique vous revient en mémoire. On vise de l’eau facile, sinon autant gaspiller vos réserves internes d’eau à marcher dans une direction fiable qui vous rapprochera de la civilisation et donc potentiellement de l’eau, plutôt que de gaspiller ses forces à tourner en rond ou à taillader une liane parce que dans une émission un type a dit que dès fois on y trouvait de l’eau.
Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas chercher de l’eau, on ne sait pas au moment T si l’attente durera 3 jours ou 6 jours. L’opportunisme est de mise en survie, si vous voyez un moyen d’avoir de l’eau sans effort, saisissez-le, si vous pouvez boire de l’eau sans danger, buvez-la.
Le dang.. « et puis manger » !
La quatrième partie concerne la nourriture, et donc je reprends le débat sur le fameux N comme nourriture de mon acronyme PLAN (protection, localisation, analyse ou abri, nourriture). Ron Hood nous apprend qu’on peut tenir 3 semaines sans nourriture, à peu près et dans certaines conditions, notamment d’économie énergétique. Disons 2 semaines pour être réaliste. 15 jours, cela fait long quand on sait qu’en sautant un repas, on en fait souvent tout un plat. Une journée sans manger, au soleil, en bougeant un peu, vous ferez probablement un malaise. C’est le lot commun par exemple des musulmans le premier jour de ramadan de l’année, qui est dur, car le corps est en mode snacks, graisses, sucres, viande à outrance. Coupez les vannes d’un coup sec, vous verrez. Il m’est arrivé de jeûner aussi lors d’événements avec des scouts musulmans et après 7h sans boire ni manger, la tête me tournait, les lèvres sèches (déshydratation de stade 1), je ne faisais pas le malin quand il fallait gérer des enfants avant le soir.
Par contre je vous rassure, qu’on fasse le jeûne ou qu’on soit tout bonnement privé de nourriture en situation de survie, passé la fin du 2ème jour, le corps s’habitue étonnement aux privations. Profitez-en, dès le début, pour effectuer les tâches qui vous demanderaient le plus d’efforts (abri, exploration) si vous savez que votre situation va durer. Le jour 1 vous ne serez jamais aussi fort de toute votre « expérience ». Ensuite, voyez votre énergie comme une lente pente dégressive qui certes se stabilisera à un temps donné quand vous aurez réussi à stabiliser vos sources nutritives (pièges à animaux, pièges à poissons, fruits, racines…), mais à un niveau d’environ 2/3 de vos capacités habituelles.
Toutefois dans notre cas de 3 jours, sans rien manger vous serez encore vivant et gras en ressortant de là. Au contraire, pas mal de gens sont morts en situation de survie dite à court terme, d’avoir mangé la mauvaise plante ou le mauvais champignon, pensant avoir à tout prix besoin de se nourrir. Le problème est que, lorsqu’on ne connaît pas les bases et qu’on ne sait pas analyser sa situation, on pense avec ses peurs. Si je ne mange pas, je vais mourir ou je serais trop faible pour m’en sortir, vite il faut que je mange le premier truc qui passe. La boulimie-survie a dû tuer autant de personnes depuis la nuit des temps, que la nature elle-même.
Je vous renvoie de nouveau à l’article sur l’introduction au bushcraft, pour comprendre que les plantes sont le principal ennemi du débutant perdu en situation de survie. Il faut en manger beaucoup pour si peu d’apports. Souvent la dépense de la cueillette / préparation / digestion, ne vaut pas l’apport promis. Autant boire 1L d’eau et aller se coucher ainsi, que de gaspiller son énergie à chercher les deux seules plantes que mamie nous a montrées dans le temps et qu’il n’y aura peut-être pas dans la zone. Pensez à la nécessité énergétique : à moins de tomber sur LA plante super grasse, que vous connaissez super bien, pleine de vitamines, avec plein de larves protéinées bien juteuses juste à côté (un peu gluant, mais appétissant), cela ne vaudra pas le coup, en comparant risque / dépense / apport.
J’espère que mon amie Laurence Hildegarde ne va pas me lancer ses merveilleux beignets de consoude au visage quand je la reverrais ! Je suis certain qu’elle sera d’accord avec moi si je le dis ainsi : à moins de s’y connaître un minimum ou d’avoir le bouquin qui va bien, tabler sur les plantes comme nourriture de survie est risqué et peu satisfaisant en nutriments. Par contre, si on s’y connaît, qu’on sait reconnaître les plantes de son coin, qu’on sait les préparer vite et bien, elles feront un bon complément alimentaire avec des fruits, des racines, de la viande fraîchement piégée / chassée.
Avant de partir
On ne sait jamais à l’avance comment se déroulera une sortie nature, donc autant faire de son mieux pour s’y préparer, avant de partir, plutôt que de pleurer une fois dans le mal.
Faites-vous une checklist qui doit devenir votre routine avant chaque départ en expédition, en aventure, en randonnée, en voyage nature. Cette liste je la résume dans mes stages en utilisant les WH QUESTIONS que l’on a tous appris à l’école (en anglais). Quoi, quand, qui, où. Tout cela, vous devez les transmettre à une personne de confiance avant votre départ.
QUOI (what) : que vais-je faire, une randonnée, une petite balade, une expédition, un repérage pour un bivouac.
Quand (when) : je pars tel jour, je reste tant de temps, je reviens tel jour. Par contre si vous restez plus longtemps, tâchez de prévenir d’une façon ou d’une autre (SMS, papier sur la voiture, randonneurs croisés en route).
QUI (who) : combien êtes-vous, qui sera avec vous, leur numéro de téléphone et le contact d’un proche. Si vous ne revenez pas le dimanche soir, votre personne de confiance appellera forcément les contacts de cette liste et les secours se coordonneront plus rapidement autour de votre groupe déjà constitué.
OÙ (where) : où allez-vous ? Est-ce un camp fixe, une itinérance, si oui réalisez un roadbook (jour 1 tel lieu, jour 2 tel lieu, jour 3 tel lieu…). Même si ce n’est pas hyper-précis car on est obligé de rien en randonnée, au moins les secours sauront limiter leur zone de recherche, cela peut vous sauver la vie.
Cela peut être une feuille manuscrite avec 2-3 schémas que l’on dépose en partant, ou que l’on prend en photo pour envoyer à 2-3 amis ou la famille.
Ne pensez surtout pas « tout ira bien je sais où je vais, j’ai mon téléphone ». Le nombre de fois où je n’ai pas pu capter de réseau rien qu’en descendant la Dordogne avec mon radeau de survie… Heureusement que personne n’attendait mon texto pour désamorcer une période d’alerte (durée à partir de laquelle il faut prévenir les gendarmes de notre disparition) sinon j’aurais causé un grand remue-ménage chez nos collègues képités. Finalement, j’ai toujours réussi à prévenir régulièrement de mon avancée à mes personnes de confiance.
Pour conclure cette partie « avant-survie », j’ai beaucoup aimé une phrase de Ron Hood trouvée sur son site www.survival.com : « le but d’un survivant / surviviste confirmé est simple : toujours éviter de se retrouver en situation de survie ». C’est l’essence même de la sagesse mais, si on fait toujours attention, on n’a jamais besoin de faire attention, vous me suivez ? Il y a 15 ans je croisais un garde montagnard pendant un raid VTT-pieds avec des ados. Il me dit « faites attention le chemin est glissant là-haut ». J’avais vérifié l’équipement de chaque jeune personnellement (pantalon, manches longues, crampons, bâton de marche, gants de manutention). Les sacs étaient bien chargés et bien équilibrés. J’avais déjà fait attention en amont, aussi certains jeunes ont forcément glissé dans la boue sur un sentier de montagne, mais aucun ne s’est blessé à ce moment-là C’était même marrant par moments, les forçant à s’entraider, à tirer des cordes pour se remonter dans la pente. Cela ne signifie pas que je n’étais pas vigilant pendant les manips, mais j’étais serein et j’avais l’itinéraire bien en tête.
La majorité des gens perdus, s’en sortent dans l’heure
Prenons le cas courant, je randonne dans un coin magnifique car j’adore le bushcraft et je veux me perdre dans la nature, exprès, pour découvrir des lieux intacts de présence humaine… Le rêve.
Il viendra un moment, que j’appelle le déclenchement de la situation de survie (DSS), où vous réaliserez que vous serez perdu. Cela commence souvent par « attends, fais voir la carte vite fait » ou encore « on est pas déjà passé par là ? ». Entre ceux qui attendent d’être perdus pour seulement commencer à s’intéresser à la carte, ceux qui s’en fichent, ceux qui sont sûrs que « c’est par là »…
Ce moment est précieux, arrêtez tout, arrêtez-vous, asseyez-vous pour être sûr de ne pas aller encore plus loin. Vous ne serez jamais plus près d’être retrouvés ou dé-perdus, qu’au moment où vous constatez être perdu. C’est l’endroit le plus proche du bon chemin. Dans 80% des cas, ça se termine la minute suivante par « ah oui on devait prendre à gauche au dernier croisement, demi-tour c’était là ». On retrouve le chemin, on rigole, finex.
Pour les 20% des cas, ça se joue à pile ou face. Ou bien par des petites astuces ou la chance, ou un solide savoir. Vous retrouvez finalement le chemin après un petit coup de flip (10%), ou bien vous êtes vraiment perdus (10% restants).
Je m’assois, je pose mon sac, si j’ai chaud j’ouvre mon manteau, je bois un coup, je prends 2 minutes. De nouveau et bien souvent cela vous apportera la lucidité nécessaire pour vous souvenir qu’en fait c’était par là, parce que la rivière… Il faut vraiment le faire pour se perdre en randonnée (à moins de n’avoir rien préparé à l’avance, ni itinéraire ni même un petit coup d’œil à la géographie du lieu).
On croit souvent qu’il est difficile de mémoriser une carte, mais rappelez-vous qu’à pied on fait du 5km/h, avec une carte au 1:25’000 une rando à la journée c’est 60cm sur 15cm de carte à mémoriser, ça va assez vite. Il y aura quelques zones vertes, 4-5 routes croisées, éventuellement une colline ou une montagne, le parking sera à tel endroit. En gros vous deviez aller au nord, la voiture est au sud, je suis perdu, je vais au sud, je tape dans la route, je la longe jusqu’au parking hop !
Qu’en est-il de la minorité qui se perd vraiment
Pour les 5% restants qui vont vraiment se perdre et ne pas pouvoir se retrouver, la règle du « ne bougez pas » s’applique. Si vous n’êtes pas dans un lieu dangereux, restez-y. Si vous captez, appelez les secours, même sans explications précises ils vous trouveront avec votre téléphone. Ils peuvent même vous placer sur une carte avec des explications vagues (montagne devant moi, rivière derrière, pic rocheux à gauche…). Généralement tous les sauveteurs du monde parlent un peu anglais (help, lost, injured, forest, moutain, trekking). Un ancien de l’Indochine m’a raconté une fois être tombé en panne en pleine jungle. Incapable de se faire comprendre par les locaux. Il a dit en boucle « Paris, Napoléon, Tour Eiffel, De Gaulle… » et là d’un coup compréhension ! Direct les gens sont allés chercher l’instituteur du coin qui parlait un peu français. Comme quoi parfois il faut abuser des clichés.
Le mieux si vous joignez les sauveteurs, serait de leur donner votre position par triangulation en utilisant les rétro-azimuts même approximatifs sans boussole, de 3 points remarquables autour de vous mais personne n’est parfait. Donc expliquer que vous voyez une montagne, un ravin, une rivière, des chèvres… ils connaissent bien leur zone, en deux minutes ils sauront plus ou moins dans quelle vallée vous chercher.
Si vous n’avez pas de téléphone ou qu’il ne capte pas, ou que votre petit dernier a vidé la batterie en jouant à Candy Crush, il n’y a que deux solutions.
Soit prendre le risque de bouger en partant du principe que personne ne viendra pour vous car… 1/ vous n’avez prévenu personne 2/ vous avez trop dévié de votre itinéraire annoncé 3/ vous êtes au beau milieu d’une zone immense et les secours sont vraiment loin même en hélicoptère.
Soit ne pas prendre de risque car vous savez que vos chances d’être retrouvés sont bonnes, dans ce cas installez-vous tout en économisant vos forces. Au pire on s’allonge sous un tronc d’arbre en préparant une petite couche végétale au sol. Si vous êtes fiable, vous avez amené un poncho avec vous, rip-stop à oeillets (einh?) et vous en ferez un tarp en appentis (lean-to shelter). Au mieux, faites un feu car vous avez dans vos poches ou sac, tout ce qu’il faut pour. Les secours iront droit vers la fumée. Entre un signal de fumée, un signal solaire (miroir, vitre), un signal visuel (SOS en végétation avec sol contrasté, vêtements de couleur), on vous retrouvera en quelques heures, voir un jour ou deux.
Sans trop bouger, si aucun danger de vous menace, vous n’avez besoin de rien pendant ce jour ou ces deux jours. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se balader tranquillement autour pour faire l’inventaire du coin (plantes ici, rivière là-bas, passage de gibier…). Si vous avez des compétences en survie, vous savez quoi faire (abri, eau, nourriture pourquoi pas), sinon c’est vraiment aussi bête, attendez et économisez vos forces, aussi stressant que cela puisse être.
Au final, pour les 2% restants qui n’ont prévenu personne, ou qui se sont trop éloignés de leur plan initial, ou qui n’ont pas emporté le minimum vital (3C / 5C) et qui ne maîtrisent pas bien l’orientation ou, qui se sont blessés de telle manière que se déplacer devient problématique… Malheureusement pour eux, à moins d’un coup de chance ou d’une détermination à toute épreuve (et un corps qui suit derrière), la mort est une option possible. Quand on est trop faible pour marcher ou qu’on s’est blessé sur un membre inférieur, faire un kilomètre peut prendre une heure ou une journée. Sortir d’une grosse forêt prend plus que cela.
Mais ce qu’il y a de bien, c’est que même ce genre de personne finirait par attirer les autorités. Que ce soit votre patron qui ne vous voit pas revenir le lundi matin, votre famille qui après 2-3 jours sans nouvelles se rend chez vous et trouve le courrier qui déborde. Ou encore le voisin sympa qui vient toquer, n’ayant pas vu votre minois depuis des jours. Ils préviendraient la police et on en revient au même, l’enquête serait juste plus longue pour conclure que vous êtes partis en trek dans les Carpates (avec vos revenus bancaires et vos historiques internet). Simplement, comptez 7 à 10 jours avant que les secours ne s’intéressent réellement à votre disparition.
Donc si vous savez qu’on ne vous chercherait pas, j’espère que vous avez commencé à bouger le 2ème jour pour retourner vers une forme de civilisation. Théoriquement en Europe, après 2j de marche vous trouverez un berger, un garde, un randonneur, un paysan, qui vous aura aidé à rentrer. En Afrique, aux USA ou au Canada, certains territoires sont si grands que 7j de marche ne sont rien du tout. Nous avons perdu un aventurier français l’an passé, Thomas D. qui traversait les grands lacs au Canada. Chahuté dans les vagues pendant la traversée d’une baie, il a fini trempé et a préféré accoster tôt pour se réchauffer à l’aide de son matériel. L’hypothermie en aura malheureusement décidé autrement.
Donc si vous allez là-bas, j’ai bon espoir que vous n’irez pas seul, pas sans moyen de communication, pas sans prévenir 18 personnes de votre itinéraire. Le mieux étant de se former le plus possible aux techniques de vie et survie dans la nature avant de partir, pour garantir une autonomie forte en nature. Tant qu’à faire, pas sans avoir acheté un petit boîtier GPS à 100€ qui permet de borner toutes les X heures votre position, voire d’envoyer un SMS court à une personne de confiance « ça va / ça va pas ».
C’est peut-être bête à dire mais, même si je venais à mourir dans ces conditions, je suis sûr que ma famille voudrait pouvoir me retrouver, afin de disposer honorablement de mon corps et avoir la certitude de mon sort, pour ne pas espérer vainement des années de me voir revenir avec une barbe de 30 cm, vêtu d’une peau de bête.
Astuces « je suis perdu »
Il existe plein de petites astuces pour réellement se dé-perdre ou pour le moins se rassurer ou rassurer un ami, un enfant, qui serait perdu avec vous, en prétendant avoir le contrôle.
La première est de pouvoir s’orienter par rapport aux points cardinaux. Cela implique de savoir un minimum de choses sur la zone (montagne au nord, rivière au sud…). « Le soleil se lève au Japon et se couche en Bretagne », phrase historique tirée de mes ateliers orientation sauvage avec les scolaires. Déjà le matin et le soir vous savez trouver l’ouest et l’est, donc le nord et le sud suivent.
Deuxième astuce pour l’orientation, avec sa montre. Il suffit de placer sa petite aiguille (heures) sur le soleil, le milieu entre la petite aiguille et MIDI est le sud, l’opposé est donc le nord. Les puristes me demanderont de préciser qu’en réalité en été on doit viser avec 2h en moins et en hiver avec 1h en moins pour respecter l’heure solaire. Ex : en été à 16h, visez 14h. L’astuce vaut aussi si vous savez l’heure qu’il est (montre analogique ou téléphone sans réseau) : prenez un caillou ou une feuille d’arbres, faites un rond avec 12 marques, c’est cadeau !
Troisième astuce bien connue : planter un bâton au sol, poser un caillou sur la pointe de son ombre. Attendre 15-30 minutes, reposer un caillou et poser un bâton entre deux, puis un autre bâton sur ce premier, vers le piquet planté. La croix formée vous indique en direction du piquet le sud, donc l’opposé sera le nord. Le premier caillou posé sera l’ouest et le second sera forcément l’Est puisque le soleil va vers l’ouest et projette les ombres à l’opposé de l’objet.
Quatrième astuce si vous êtes perdus en forêt : utilisez des bouts de ficelle ou des bouts de tissu. Accrochez-en un bout à votre emplacement à hauteur d’yeux, sur le fameux DSS, le point où vous avez réalisé que vous étiez perdu. Marchez en ligne droite vers un endroit bien visible pour y attacher un autre bout. Retournez-vous, vous devez voir facilement le premier bout de ficelle ou de tissu, sinon vous êtes trop loin. Recommencez autant de fois que vous avez de bouts. Ainsi, vous pourrez avancer en ligne droite dans une direction précise sans tourner en rond, et vous pourrez toujours faire demi-tour pour retrouver votre point initial (point DSS). Si au bout de 1 ou 2km vous ne voyez rien d’inspirant par là, faites demi-tour et retournez au point de départ vous reposer, ou essayer une autre direction. Tant qu’à faire, partez sur des points cardinaux histoire de pouvoir cartographier mentalement votre zone (j’ai trouvé de l’eau au sud, j’entends du gibier au nord…). Pourquoi pas essayer de dessiner la carte de la zone, ça vous occupera et peut-être que si vous avez une vraie carte, vous pourrez faire coïncider les deux pour vous localiser. Au pire, utilisez cette technique pour revenir sur vos pas en suivant vos empreintes au sol, pour essayer de retourner à un endroit connu. Si vous n’y parvenez pas, il suffira de remonter vos petits repères jusqu’au DSS.
J’espère que cet article vous aura appris deux ou trois choses sur la survie et le fait de se perdre. Certains sont déçus car ils s’attendaient à trouver un éventail de techniques commando pour se rassurer sur leurs prochaines sorties. Il est des choses qu’on peut raconter sur un blog, et d’autres choses qui nécessitent de pratiquer le terrain pour être apprises correctement. Mais, pour vous entraîner, n’allez pas trop loin, pas tout seul, ne partez pas trop longtemps, tant qu’à faire démarrez par un endroit que vous connaissez bien. Il serait vraiment dommage de s’entraîner à une situation de survie, et de tomber réellement dans une situation de survie !
À bientôt dans la verte !