Si vous n’êtes pas de la côte, vous ignorez peut-être que la mer est haute deux fois par jour. Cela est dû à un raisonnement mathématique simple : la mer met 6h à monter, 6h à descendre, et cela en boucle depuis la nuit des temps (phénomène dû à la rotation de la terre associé à l’attraction lunaire). Il faut ajouter 15 minutes de plus à chaque marée pour savoir quand sera la suivante. Cela est bien pour les enfants qui veulent se baigner le matin, car plus la semaine passe et plus la marée tient longtemps en matinée (pas besoin de se lever trop tôt). Par contre, c’est mauvais pour les enfants qui désirent se baigner l’après-midi, car si la mer est à l’étale (courant nul) vers 10h, la mer ne sera basse que vers 16h et donc pour la baignade de l’après-midi il faudra soit aller chercher la profondeur à 500m (parfois 1km), soit attendre 19h pour se baigner, et là mamie va râler car c’est l’heure où on mange, puis il fait froid et on ne veut pas que vous « attrapiez du mal ».
Comprendre la marée et vivre avec elle

Je suis de la côte (Paimpol, représente !) mais… j’étais fatigué en m’endormant et les calculs et moi… Ainsi je me couche vers minuit, la mer devait presque avoir fini de descendre, et se préparait mentalement à remonter. Si bien que pendant la nuit je me suis réveillé 2-3 fois en sursaut, car le bruit des vagues montantes et qui se rapprochaient, avait achevé de convaincre mon subconscient de me redonner le contrôle. Après dix secondes à se demander si le canoë n’était pas parti, c’était ma plus grande crainte, à chaque fois, je me rappelais que je l’avais hissé sur une berge de 60 cm de haut, indubitablement plus haute que la zone maximale de l’estran (zone de marée), alors je me rendormais paisiblement. Je n’ai pas souvent dans ma vie dormi au bord de la mer, c’est interdit le plus souvent de camper sur la plage ou d’y faire du feu (voir les feux naufrageurs). Et quand bien même, il est rare de dormir près d’une chose qui fait du bruit, dans la nature. On évitera toujours soigneusement de faire son camp trop près des rivières pour éviter l’humidité nocturne, le bruit, déranger la vie nocturne, attirer les moustiques, être sur la piste du comptoir d’un prédateur du coin qui en profiterait pour saccager nos réserves (et nous faire une belle frayeur). En conclusion de quoi, le bruit des vagues m’a tenu dans un état de vigilance passive, je dormais, mais une grosse vague me faisait tressaillir un doigt, mon instinct de survie est affûté et je ne lui en veux pas, un jour il me sauvera peut-être la vie.
Or donc, 8h sonnent à mon réveil, je m’étire dans mon hamac en me disant que je suis bien entouré d’arbres, d’herbes folles, d’oiseaux, des premiers rayons de soleil qui me rappellent que les lunettes solaires et la crème seront de mise avant d’embarquer. Le temps de petit-déjeuner quelques biscuits secs, une rasade de lait chocolaté, un bon fruit frais, une barre de céréales, le tout comme à mon habitude en rangeant le camp de la main libre (autant à la maison j’adore procrastiner, autant en expédition, je ne traîne jamais, je préfère être dans l’aventure, dans l’énergie, dans le mouvement). Vers 9h30 je suis prêt à partir et ce que je soupçonnais se confirme (je vous rassure je l’avais constaté dès 8h02), la mer redescend depuis 3h30 déjà, autrement dit l’estran est tout autour de l’île (certains appellent ça la grève aussi, c’est cette zone de rochers, d’algues et de mares entre la plage de sable et le large). Autrement dit, je vais devoir tirer mon canoë sur 150 m dans les rochers, les algues gluantes (mais certainement appétissants), les zones de galets… bref, je sais déjà que mon fond de canoë ne va pas aimer. Je le descends de la berge, facile il glisse tout seul, puis je pars en éclaireur pour repérer un chemin ou en dégager un.
Finalement, je repère quelques coulées naturelles où l’eau descendante a créé son lit depuis des millénaires, à coups d’algues jetés à la va-vite je recouvre certains rochers à l’allure menaçante puis j’entreprends d’amarrer ma ligne de remorquage à ma taille, par-dessus le gilet, et hue-cocotte je tire. Je vois quelques bateaux qui passent entre les deux îles voisines, on me salue de la tête. Tout va bien, même s’ils n’avaient pas été contents que j’ai dormi sur l’île, j’en partais, pas de litige, et puis qui dit que je ne suis pas simplement allé m’y soulager ? Tout va bien, mais je me rappelle à cet instant précis que la France n’est pas un pays accueillant pour le tourisme nature, à ce moment-là je me jure qu’un jour j’irais faire du canoë en Scandinavie où les lacs sont parfois spécialement aménagés pour (cabanes publiques, parking gratuit, embarcadère ouvert à tous, pêche tolérée…). Mon itinéraire est su, je repars à gauche pour aller au nord et continuer mon petit tour du Golfe par le nord-est.
Oui, mais voilà, allez comprendre, la mer descend, en m’éloignant de la rive de mon île pour aller au nord, surfant de justesse sur des parcs à huîtres que la marée allait bientôt découvrir, je réalise que je vais devoir changer de plan. On n’est pas « en mer », on est dans le Golfe du Morbihan, et toute sa vie maritime est dépendante du goulot à son entrée et du sens ON ou OFF de son courant. Or, la mer descend, nous sommes donc en OFF, le courant ne monte pas, il descend, impossible de ramer vers le nord sans forcer et me blesser les épaules. Cela revient à faire une rando en permanence sur un escalator, mais à l’envers, il faut faire deux marches instantanément pour en franchir une et si vous arrêtez de monter, vous redescendez de quatre marches. Après la journée d’hier, je commence à apprivoiser le courant du Golfe, je songe amoureusement à mon île de Bréhat qui est bien plus simple, car entourée d’îles et de rochers qui transforment le courant adjacent en rivière agréable à pagayer. Non, ici, c’est à la dure ou rien. Je m’amarre donc à une bouée au nord de l’île, je reprends la carte, la boussole, je retrace des azimuts imaginaires tandis que mon embarcation se tourne face au vent (comme tous les bateaux). Finalement j’oublie le nord, je vais profiter que la marée soit bientôt calme pour prendre de la distance plein est vers l’île d’Arz qui m’attire, je vois sur ma carte qu’elle a des routes, j’aimerais aller voir à quoi cela ressemble.
Départ vers l’Ile d’Arz

Au début cela le fait plutôt bien, je suis protégé du vent par la pointe Est de l’île aux Moines et le courant contourne cette pointe vers le sud-est, au lieu de lutter je pagaye donc pratiquement à la parallèle du courant, quand les vagues se font rares je gruge un peu en ramant plus à l’Est, quand elles reviennent je reprends ma course. Au bout de 20 minutes j’arrive en vue de l’espacement entre les deux îles, le courant y est fort, car il est repoussé par les côtes (un dérivé de l’effet venturi). Il est déjà presque 11h30, je me dis qu’il est temps pour une pause afin de manger et boire un bon coup tandis que le soleil disparaissait gentiment et que le vent montait de manière désagréable. Je me pose donc à une bouée d’amarrage près des rochers de la pointe Est. Je vois le fond, mais je sais grâce à ma carte SHOM qu’il restera un mètre d’eau dans cette zone à marée basse, même pas peur donc, je peux rester là une bonne heure (au pic de marée basse) et repartir sans encombre. De plus, cela m’évite de perdre 15 minutes à essayer d’accoster, puis de galérer à remettre le canoë à l’eau (car la marée aura baissé à mon retour). J’avais prévu le coup, des sandwichs dans un sac étanche, sous le banc de devant, pour m’éviter d’avoir à me déplacer dans l’embarcation. Petit plaisir, une bouteille de thé fraîche (laissée toute la nuit dans une mare, bien accrochée à un bout’ sur un pneu en béton). Je mange, c’est chouette, on dépasse midi, je lis un peu dans mon canoë, de toute façon le soleil est parti, les risques de coups de soleil avec lui (même si parfois les rayons UV passent à travers les nuages, mais là… soyons raisonnables les amis, c’est la Bretagne et ce n’est pas une journée de canicule). Après 13h, je sens que le vent tourne, la mer remonte depuis à peine 30 minutes, prise de conscience.
Là, le début des problèmes mes bons amis, qui vont durer un bon moment. Souvenez-vous, la mer va se mettre à monter, au nord, et moi je vais au sud. J’essaie d’appliquer mes connaissances maritimes anciennes avec les récentes que j’ai acquises la veille à grand renfort d’ampoules. Si je pars tout de suite plein est, pendant que le courant est encore faible (la Jument dort encore…) je pourrais traverser vers l’île d’Arz, galérer un peu 30 minutes après à son sud pour traverser vers le sud du Golfe, me mettre à l’abri des îles et des rochers pour naviguer à l’abri du courant. Alors en théorie, c’était parfait, c’est là que j’ai manqué de jugeote. Le chant des sirènes m’a attiré dans ce plan. Je largue les amarres et je file direction le sud-est. Mais trop tard, le courant était déjà en action, impossible de tirer un bord vers l’est (mon bâbord), le courant est déjà tout tendu vers le nord et comme je suis proche de l’embouchure entre deux îles, il tabasse, le vent est levé et contre moi, pas glop. Je comprends alors que ma seule chance d’atteindre le sud du Golfe avant demain, est de longer l’île afin de chercher refuge dans les faibles tirants d’eau où le courant serait moindre, puisque l’île est plein sud et que le courant arrive du sud-ouest, c’est jouable.
Me voilà donc à lutter pour maintenir un cap ouest, alors que le courant vote au nord, option nord-est. Je suis proche de la côte, à peine 500 m mais impossible de faire de la ligne droite. Le vent est désormais très présent, les vagues se forment, les creux arrivent rapidement à 50 cm, hors, c’est la hauteur des bords de mon canoë. La résultante est que chaque vague prise de côté fera rentrer de l’eau dedans, bon je ne crains pas de couler mais quand ça tape de biais ça me freine et ça me mouille, avec le vent cela donne vite froid, bien que je sois en pleine séance de rameur c’est le cas de le dire. J’ai beau avoir un bon coup de rame, avoir une expérience solide de la mer (dont 1 an à faire du Va’a en Océanie), je suis forcément déporté vers l’Est. Si vous aviez ma position minute par minute sur la carte, vous verriez qu’en fait je dérive et je ne parviens pas à faire ce que je veux. Je dois me rendre à l’évidence, soit je peux laisser le courant me pousser vers l’est en ramant légèrement de biais pour viser le sud-est (ce qui était mon plan initial) pour m’échouer glorieusement sur l’île Ilur, soit je laisse tomber le sud et je profite du courant nord-est pour ramer de biais vers le nord-ouest pour rallier l’île aux Moines et rejoindre définitivement sa crique sud-Est pour m’abriter des courants. L’alternative autre revenait à ramer pile à contre-courant, Renan versus Wild. Et j’aurais perdu. Je ne voyais pas l’intérêt de partir à l’Est et de m’éloigner de mon point d’arrivée estimé vers le port de Larmor Baden, donc je pars à l’ouest.

Devinez quoi, la crique en cassant le courant venant du sud (flèches oranges sur mon schéma), cause aussi un effet de barrière qui emprisonne le courant en son sein, mais puisque ce dernier est alors poussé vers l’ouest, il tape contre l’île et repart au sud-est, provoquant donc un courant d’arrachement (flèches bleues sur mon schéma). Si j’avais su, je n’aurais pas venu comme il disait le petit gars. Du coup je me retrouve entre deux eaux, à bâbord le courant anciennement de la jument qui pousse vers Arradon (nord-centre du Golfe), à tribord le courant de l’île qui s’arrache vers le sud-est. Vous me direz… je l’aurais vu venir avant, j’aurais simplement fait face au nord et j’aurais surfé dessus pour avoir un petit tour gratuit dans la crique et me faire propulser sans effort au Sud où je voulais aller (oui, avec les courants il ne faut pas chercher à comprendre). Bref, je passe une heure à galérer à mi-distance entre l’île aux Moines et l’île Godec, pour finalement arriver dans la crique. Je lutte contre ce courant interne, tantôt les vagues me poussent à la perpendiculaire et, faisant la hauteur de mon canoë, menacent de me retourner, je dois donc la jouer fine. Quand il y a des vagues je rame plein sud pour limiter l’arrachement d’un côté et l’angle des vagues de l’autre, quand il n’y a pas de vague je rame sud-ouest pour continuer de longer l’île et sortir de ce courant qui, je le vois bien, s’évanouit à mesure que j’approche de la pointe sud de l’île.
Entre temps, quelques bateaux me croisent, des bateaux plats, ce sont des exploitants de la mer, des ostréiculteurs qui ont profité de la marée basse pour aller retourner leurs sacs d’huîtres. J’ai fait ma part l’été de mes 17 ans, bien payé, mais très dur physiquement, les sacs pesant entre 5 et 20kg, à retourner le dos plié en deux sur des barres métal à 40cm du sol, 100 sacs à retourner par longueur de barres de métal… 5 rangs à faire, une heure avant le retour de la mer, pas le temps de traîner. J’hésite à en héler un ou à faire signe pour qu’il vienne me tirer du courant, mais en même temps si je galère et que je suis mécontent des courants, je n’ai pas encore chaviré, je tiens bon le cap, je chante à tue-tête « tiennnns bonnnn la barre… hissez-hauuuut » et autres chants de marins, de pirates (put him in a long boat till he’s sober, put him… early in the morning !!!), pour me donner du courage. J’avoue honnêtement que je ne la ramenais pas à cet instant précis, les yeux perpétuellement rivés sur les vagues venant du nord-ouest, parfois un coup d’œil au courant montant venant du sud pour voir si je m’en tenais suffisamment éloigné pour ne pas le subir (et ramer à contre-courant). Après presque 1 h 30 de stress, j’arrive enfin à m’abriter pile derrière la petite queue Est de la pointe sud. Je bois beaucoup, je me pose sur un rocher qui dépassait, le canoë attaché à la cheville version planche de surf (je l’avais échoué sur un banc de sable de toute façon). Je profite d’être en crocs pour faire de savants calculs en utilisant mes doigts de pieds (humour) pour savoir où en est la marée. Il est un peu plus de 14 h 40, j’ai les épaules qui tirent d’avoir forcé pour ramer et contre-ramer.
Le contre-ramage
Un petit aparté, peut-être ignorez-vous le principe du contre-ramage ? C’est une technique de vieux loup de mer breton. En fait en temps normal avec ma mono-rame je rame un coup à droite, un coup à gauche, en rivière. Cela me permet de faire +1 et -1 = 0, donc je file droit. En mer, si on trouve un courant sympa on peut ramer toujours du même côté pour pousser le canoë contre lui et ainsi ne jamais avoir à repasser la rame de l’autre côté, puisque c’est le courant de l’autre côté qui remplace le 2ème coup de rame. Par contre en rame-double c’est épuisant de longer un courant car vous ne voudriez ramer que d’un côté mais vous avez le poids de la rame des deux côtés donc vous ramez des deux côtés et le canoë tourne de trop donc vous forcez d’un côté, cela fatigue énormément l’épaule. Le problème est que si les creux sont importants (= vagues) et que vous ne ramez pas dans la direction du courant, les vagues au lieu de vous porter et vous pousser gentiment, vont taper dans votre bateau. Plus elles tapent à la perpendiculaire, plus le choc est important. Si elles tapent pile à la perpendiculaire et qu’elles sont plus hautes que le bord du bateau, vous risquez de chavirer.
Par contre, si au dernier moment avant que la vague ne tape, vous penchez votre bateau de son côté, certes l’eau va un peu rentrer dedans, mais le temps que la vague ne soulève votre embarcation latéralement, elle vous remet à plat et… cela s’arrête là car après 2 secondes la vague est passée et vous n’avez pas chaviré. Alors que si vous prenez une vague en contre (perpendiculaire) et que vous ramez à l’opposé pour longer paisiblement le courant (pour ne ramer que d’un côté), alors elle vous prend cul-nu et les deux secondes de vague suffisent à vous renverser. Donc ce qu’il faut faire, au dernier moment vous ramez un coup à tribord (d’où venait le courant pour moi), le bateau penche à tribord, la vague vous redresse vers bâbord, mais vous avez absorbé son énergie. Bien sûr une vague qui ferait deux fois la hauteur de votre embarcation, finirait quand même par vous retourner, ne vous leurrez pas. Disons que c’est la bidouille qui marchait bien dans mon cas. Seulement il faut se synchroniser parfaitement avec les vagues (une toutes les dix secondes pour moi) et se pencher au bon moment. Ai-je mentionné que certaines vagues étaient plus hautes et donc plus longues que deux secondes ? Là, pas le choix, il faut attendre le début de la vague pour contre-ramer et tout le long de la vague il faut être en train de ramer pour maintenir l’embarcation penchée côté vague (c’est comme du surf). On se penche donc vraiment pas mal de son côté et on va chercher profond avec la pagaie pour exploiter toute la pale (la partie plate). Attention, il faut bien ressentir la vague, car à la fin il faut se redresser sous réserve de chavirer par son propre poids (et quel noble poids, si vous m’avez déjà vu en vidéo).
Contourner la pointe sud

Cela m’a semblé long, très long, mais je voulais m’en sortir par moi-même et si javais chaviré, tout était bien amarré dans le canoë, j’aurais simplement laissé le courant me pousser au plein milieu du Golfe où j’aurais été sûr de croiser un bateau sympathique qui m’aurait traîné sur une côte proche. J’entrais alors dans la phase pénible de mon après-midi, croyez-le ou non ! Eh oui, en voulant repartir de la partie nord de ma pointe, je constate que le courant reprend à vingt mètres à peine du bord (l’estran était presque recouvert désormais), le courant allant au nord, moi au sud. Je n’essaie même pas, je prends mon bout’ de remorquage et je traîne mon canoë par la laisse pour contourner la pointe sud-Est. Sauf que (reprenez mon schéma) je dois la longer plein ouest (les pointillés verts foncés), ce qui m’amène dans une autre crique et à marée haute impossible de tricher en coupant par l’estran ou de ramer à l’abri de quoi que ce soit. Je subis le courant qui est très fort même au bord, il me pousse contre la côte tandis que je longe. En plus, je tire une bouée géante qui flotte, et qui donc subit encore plus le courant, se bloquant dans les rochers encore à l’air libre (la mer n’était pas encore haute). Cela me prend 30 minutes de rejoindre la pointe sud-sud de l’île aux Moines. Je suis très tenté d’échouer le canoë sur le sable et de monter à terre (petite falaise de 10m de haut…) pour trouver un îlien avec un bateau pour me sortir de là, ce n’était plus franchement marrant. Mais bon, je me dis que ça ira bien.
Je bois un coup en profitant du fond de la crique, très calme, absence totale de courant. Je change l’amarrage du bout’ sur moi car je commençais à avoir mal, je repars plein sud. Mon plan était simple, une fois arrivé sur la façade ouest de l’île, puisque le courant montait au nord, je pourrais rallier l’île Berder en jonglant entre le courant sud-nord et un ramage intelligent en biais (en jouant tantôt avec le courant, tantôt avec la force des bras). Sauf que désormais en pointant au sud je suis face au courant, même à pieds je le subis durement, sans compter que les rochers de la côte me forcent à suivre un chemin précis pour ne pas avoir à sortir de l’eau (entre les rochers glissants et les algues empêchant la visibilité, je préférais marcher dans l’eau). Mais c’est un sport à part entière, qu’on appelle le longe-côte, même si la beauté de cette pratique m’échappe totalement, encore plus maintenant après avoir passé 2h à tirer mon canoë. Chaque fois que j’avance la jambe pour faire un pas, je menace de me casser la figure, et ne voyant pas où je poserais la main, cela ne me réjouit pas le moins du monde. Ce bout de l’île est très accidenté, pas de plage, pas de pêche, on voit bien qu’ici à part la mer et les poissons, l’humain n’a rien n’a faire ici. Mais moi j’ai à y faire, alors j’y fait et je râle contre les courants. Combien de fois ai-je dit « ça ne serait pas arrivé à Bréhat ça », même si maintenant j’en ris.
Je contourne finalement la pointe sud, voilà ! Libertééééé ! En mode Braveheart je crie bêtement mon bonheur. Je me calme rapidement en constatant que je me suis ouvert le pied, je n’avais pas senti sur le moment car je tirais vigoureusement mon copain rouge (50kg de canoë, 20kg de bazar…). Heureusement, l’eau de mer a toujours été connue pour prendre bien soin des blessures, ça ne saigne plus (j’ai dû en faire saliver des roussettes dans mon sillon hé hé). Qu’à cela ne tienne, j’ai contourné mon île, je remonte prudemment dans le canoë, j’admire ma blessure tandis que le courant me pousse sans ménagement vers les rochers de la côte. Je rame 10 minutes avant de comprendre que c’était prématuré, le courant part au nord-est et non au nord, il me pousse donc dans la pointe. Damned ! Je repars à pied pour 15 minutes pour remonter suffisamment loin des rochers (que je dois contourner largement, le niveau de la mer n’étant vraiment pas du tout à mon avantage). Je finis avec de l’eau au niveau de la ceinture si vous suivez mon regard, pas le choix sinon je dois marcher dans des rochers fleurant à 10cm de l’eau, donc sans visibilité aucune de là où je pose mes pieds, chute garantie et bien méchante. Je préfère mouiller le short, largement.
La dernière traversée
Je finis par trouver un rocher plat et je remonte à bord. Je rame pour m’éloigner du danger et j’analyse alors le courant. Je fais une petite vidéo pour montrer les vagues, les mouettes qui stagnent au dessus de moi, tant le vent les empêchent d’avancer. Je ne peux pas perdre trop de temps car on a largement dépassé 16h, et même si en horaire Hobbit ce serait déjà l’heure du 3ème goûter, pas le temps de m’arrêter, je grignote une barre de céréales tout en ramant, car dans plus ou moins 1h30 le courant commencerait à redescendre et je serais emporté au sud-ouest bon gré ou malgré. Avec ma chance légendaire, je m’imaginais déjà m’échouer sur une bouée en plein centre de la passe, à passer 6h là pour attendre en pleine nuit que la mer ne remonte pour repartir au nord-ouest. Pas concevable.
J’entame ma traversée vers l’ouest, le courant allant désormais au nord, je le prends gentiment de biais, en naviguant au cap nord-ouest quand il y avait des vagues (option plein nord en cas de grande vague) et plein ouest entre deux séries de vagues. Il faisait assez moche, plus de soleil, le vent soutenu, je ne croisais plus de bateau. L’école de voile que j’avais croisée ici la veille, était de longue date rentrée au port. Cela ne m’inquiétait pas plus que cela mais il est toujours rassurant de voir du monde quand on sait qu’on va traverser un bras de mer d’un petit kilomètre de long, largement à plus de 200 m des côtes. Figurez-vous que je réalise alors que je n’ai pas encore filmé la pleine mer avec ma caméra… je profite d’être au milieu du courant (peu de vagues) pour filmer 30 secondes comme je l’ai dit plus tôt. Cela bouge énormément, on n’entend que du vent, je cadre mal car je rame pour maintenir le canoë face au sud… il aurait fallu être deux pour ramener du contenu de qualité. Je ramasse, je repars, constatant que ces 30 secondes m’ont fait dériver de 100m au nord, bon, c’est la vie.
Après avoir largement contourné l’île Creizig je prends cher, le courant pousse fort au nord et si les vagues sont moins méchantes qu’à l’Est de l’île aux Moines, elles sont plus nombreuses. Je laisse tomber l’idée de passer au sud de l’île Berder, je la prendrais par le nord, sur la carte, je vois qu’elle n’est pas rattachée au continent, je pourrais donc revenir vers la voiture par là, à l’abri des courants en plus, au top. Si au début je voulais naïvement rallier l’île et partir plein nord, j’abandonne et je préfère canoter au nord-ouest pour taper pile sur la pointe nord de cette petite île aux abords abrupts.
Enfin la terre ferme

Après une grosse heure, j’y parviens enfin, pour constater que tout le nord de cette île (avec un estran important, voyez la carte, la partie en vert) est une zone parfaite pour un parc à huîtres. Mais il reste encore 1h avant la marée haute et du coup certaines lignes d’huîtres sont à fleur d’eau. J’essaye de zigzaguer entre les rangées, je tape un ou deux endroits, je râle en me disant que si le patron me regarde aux jumelles il va venir me demander pourquoi je pagaie dans son entrepôt à ciel ouvert. Pas de dégâts, je ne fais que toucher, alors je rame au nord pour en sortir et je rallie finalement le nord-ouest de l’île. Plus trop de courant, ça le fait ! J’aperçois un homme qui pêche avec ses enfants (ils jouent plus qu’ils ne pêchent), salut de tête de loin, je réponds cordialement et je rame vers l’embouchure du continent. Grosse blague, il y a une digue en plein milieu… ce n’est pas sur la carte ça ! La digue fait un bon 50 cm de plus que le niveau de la mer, qui forme une cascade vers moi puisque le courant vient de l’autre côté. N’ayant pas l’option Cascade (pour ceux qui ont joué à Pokémon dans leur jeunesse) je ne peux grimper l’obstacle. Le monsieur qui pêche me dit que si je m’approche par la digue en tirant le canoë, ça devrait passer. La digue est artificielle, des rochers carrés balancés les uns sur les autres, instables, glissants, le truc bien piégeur si ton pied glisse entre deux morceaux. J’essaie, je m’extrais du canoë sans chavirer, sur la digue, je traîne l’engin, je me rapproche de la cascade, où je tente pendant 30 minutes d’aligner mon canoë face au courant pour le tirer bien nettement par-dessus. Impossible, je manque de tomber plusieurs fois à l’eau, dans un courant fort entre une cascade et une digue, il y avait plus de 2m de fond de mon côté. Allez c’est bon pour moi, j’en ai marre. Je lance des regards remplis d’hameçons au bonhomme qui est désormais en train de partir avec ses enfants. Je ne sais pas où il a vu que c’était faisable, mais pas là, pas maintenant, pas ce jour, pas avec mon canoë. Je remonte sur le canoë et je rame paisiblement vers le ponton où ils étaient pour y monter et essayer de sortir le canoë.
Il n’était pas envisageable de faire le tour de l’île. J’aurais pu attendre une heure que la cascade d’eau soit au niveau de la mer et tenter de ramer par-dessus (vue la hauteur de la digue sur les côtés et les dires précédents du type, à un moment, c’était franchissable à marée haute). Mais il était déjà 17h passées et j’en avais clairement plein les croc’s. Je hèle le monsieur pour qu’il m’aide à monter le canoë sur le ponton, glissant et couvert de mousse (j’appelle cela dangereux, pas un endroit pour pêcher avec des enfants, passons). On sort la bête, puis je lui demande tant qu’à faire de m’aider à le poser au bord de la route voisine, il y avait 4 marches bien hautes en béton pour sortir du ponton, tout seul c’était foupoudav (foutu-pourri-d’avance). En glissant à quelques reprises on parvient à la tâche. Le gars, content de m’avoir aidé, me parle un peu cinq minutes. Il me dit qu’il m’avait vu à la jumelle dans l’après-midi contourner l’île à pied, apparemment il était sauveteur SNSM. Le type est secouriste en mer, et il m’envoie sur une jetée glissante, dans une cascade de mer, à contre-courant avec un canoë chargé… Bref, je le remercie pour les marches, ça au moins c’était utile et pertinent ! Je lui demande s’il peut surveiller le matos, je repars en croc’s couinantes à la voiture à un bon kilomètre de là, j’ai repéré un coin où me garer sur un débord de la route pas loin du canoë pour le charger. Je marche un bon vingt minutes (le short trempé, les jambes lourdes, le pied blessé et les croc’s qui font COUIC COUIC à chaque pas) puis j’atteins la voiture. Je protège le siège d’une serviette et roule ! Le type m’a précisé qu’il devait partir et que je ne devais pas m’inquiéter, il n’y avait pas de voleurs ici. J’en conclus qu’à mon retour au canoë il n’y aurait plus personne pour le surveiller, pas franchement rassurant.
Je vous passe les détails mais je me gare, et là j’entreprends de vider le canoë. J’ai trouvé un couteau de plongée rouillé lors d’une de mes pauses piétonnes autour de l’île aux Moines, cela faisait plusieurs années qu’il était coincé dans un rocher, je pensais le garder mais… en vidant le canoë je l’ai semble-t-il oublié sur le muret du trottoir, voilà voilà. Tout est trempé donc j’essaie de ranger ça proprement pour ne pas pourrir le véhicule. Je ne sais plus si je vous ai raconté comment j’ai chargé seul le canoë en utilisant un morceau d’échafaudage pour suspendre un côté du canoë puis glisser la voiture à côté pour soulever l’autre côté sur la voiture, détacher le canoë de l’échafaudage et l’aligner sur la voiture. Et bien là, pas d’échafaudage, tout seul au bord de la route. J’ai bu un coup en attendant que le destin favorise ma chance, un père et son fils se garent non loin et partent à pied, c’est le moment, je bondis et hop je recrute de la main d’œuvre. On charge en 2 minutes, j’amarre et il était déjà 18h et quelques, la luminosité faiblissante, c’était l’heure de filer, non sans longer un peu le Golfe en voiture pour repérer à la jumelle des endroits où j’étais passé auparavant.
Conclusion
Avec le recul, bien que je m’étais renseigné fortement sur la navigation dans le Golfe, finalement personne ne m’avait parlé des courants, de leurs particularités, de leurs caprices, de leur versatilité. Si j’y retournais pagayer un jour, ce serait à la journée seulement, sans le matériel, et on jouerait dans les courants quitte à chavirer pour le fun, mais la crainte de perdre tout mon matériel m’a clairement ôté l’envie de sourire sur le moment. Ce que je retiens, c’est qu’il faut aller au nord quand le courant va au nord, aller au sud quand le courant va au sud, et si on veut se balader entre les îles, il faut éviter les courants centraux du Golfe, il faut rester entre le continent et les îles proches du continent, là l’estran garantit un fond léger, un faible courant à toute heure et puis toutes les îles internes contribuent à casser le courant de la jument progressivement. Étant habitué à tracer des azimuts sur terre, j’ai sous-estimé le fait que c’étaient les courants qui faisaient la loi dans le Golfe, et non la boussole ou le relief (qui est fixe, facile à esquiver, à contourner, même à franchir tout droit pourquoi pas).
Je suis content de l’avoir fait néanmoins, c’était une bonne expérience, cette nuit magique sur une île au milieu de rien, tout seul avec mon canoë, le bruit des vagues, adossé contre un pin maritime, à contempler mon feu bien sécurisé sur un lit de pierres et de sable, écouter le bruit du jus des saucisses au miel qui crépite. Je m’en souviens très bien, même si généralement quand je fais des cauchemars parfois, je me revois à tirer le bord le plus long de ma vie entre Arz et les Moines et je chavire cent fois, et bien sûr il y a Jörmungand le serpent diabolique des vikings, qui guette le passage de mes jambes immergées pour me happer sous l’eau. Il paraît qu’on reconnaît la valeur d’un guerrier à ses ennemis, je me réveille stressé, mais flatté de la valeur de cet ennemi.
Prochaine étape aquatique, descendre la Loire sur 15 jours, en solo ou avec Madame, mais là encore il va falloir préparer la logistique, car il faut amener le canoë et le bardas en amont avec la voiture, puis conduire jusqu’à l’aval à l’arrivée estimée, revenir en stop au canoë avant la nuit et ramer enfin jusqu’à la voiture dans les délais. Le tout en espérant ne pas avoir d’embûches avant, sinon il faudra finir à pied comme dans le Golfe du Morbihan !