Un homme… face aux forces de la nature… reviendra-t-il vivant de son périple ? Vous le saurez, en suivant… Non je plaisante, j’écris ces mots un an après, il n’y a pas de suspens, je suis rentré vivant. Ce n’est pas le récit d’une expédition dangereuse, mais de ce qu’on appellerait plutôt aujourd’hui une micro-aventure. Mais si le mot parle de quelque chose de petit, des sensations énormes étaient pourtant au rendez-vous.
Genèse du projet
Cette aventure débute en août 2019 pour être honnête. Lorsque je suis parti descendre la Dordogne en radeau de survie hauturier. Cela sera l’objet d’un autre retour d’expédition. Toujours est-il qu’à cette occasion, ramant au sens second du terme (galérant) à une vitesse de 5 km par jour, j’ai réussi à échanger mon radeau de haute mer -qui a fini en piscine de luxe- contre un vieux canoë biplace de la marque DAG. Il était sûrement retraité de la deuxième guerre mondiale vue les blessures qu’il arborait, déchirures, raclures, griffures, mais à bien y regarder… Le plastique était encore épais là où il fallait et même s’il avait probablement passé 5 ans sous la pluie, inhumainement attaché à un arbre sur la rivière, il avait encore fière allure.
Je procède donc à l’échange, je conclus mon périple de 12 jours sur la Dordogne, peu glorieux sur la fin, vous le lirez prochainement. Mais, après la naissance de cette belle amitié, je me dis, moi qui voyage toujours avec un petit budget, qu’il serait dommage de l’abandonner là et que je ne risquais pas de revenir de sitôt (même si je lui trouvais un abri sûr). Ni une, ni deux, je reviens 15 jours plus tard après avoir accompli quelques obligations professionnelles, avec la voiture et des barres récemment achetées pour l’occasion (finalement, elles sont encore sur le toit, super pratique). Je le ramène donc en Bretagne, sa nouvelle patrie à présent.
N’y tenant plus à force de le voir régulièrement (dans le jardin où on a accepté de me le garder), cédant à l’appel de la rame, 10 mois plus tard je le charge seul (c’est sportif) à nouveau sur les barres de toit et je file direction… un endroit qui m’attirait depuis longtemps, le Golfe du Morbihan. J’ai passé 3 jours à lire tout ce que je trouvais sur la pratique du canoë dans ce golfe, les courants, les marées, les estrans, les lieux intéressants, les coins dangereux, les conclusions du SHOM et ses cartes. Comme on dit, il n’y a plus qu’à.
Préparation matérielle
La préparation physique tient en une seule phrase, je ne vais pas devenir champion de canoë en 1 mois, ni 2. Je suis actif, je travaille en extérieur, habitué à porter des charges lourdes, ou longtemps ; je coupe régulièrement mon bois, je randonne énormément, je fais du vélo, bref à en croire ma liste d’occupations, je devrais avoir 30 kg de moins en être aux J.O. Pourtant, je reste un gros barbu parmi tant d’autres. Mais si j’avais dû écouter les calculs de mon IMC, je n’aurais jamais fait le tour de Bretagne à pied, en stop, à vélo (bientôt en canoë, quand j’aurais un sponsor pour un canoë de mer) ; le tour d’Irlande à vélo n’était pas non plus de tout repos, les Pyrénées en sac à dos ont plus d’une fois réduit mon souffle à un sifflement d’asthmatique, mais je suis revenu vivant.
La préparation matérielle par contre, était indispensable sur ce genre d’expédition. On ne part pas sans les bases vitales, les bases utiles et surtout les bases légales. Prévoyant de pagayer à plus de 300 m du rivage, je devais assurer à mon embarcation de tenir les standards internationaux (ligne de vie, flottabilité, gilet de sauvetage, lampe, moyen de détresse, écope, carte SHOM, couteau et bout de remorquage (en juin 2020)). Au niveau vital, il me fallait emmener de quoi boire, manger, dormir et pouvoir me vêtir en cas de chute à l’eau (ou de navigation rock’n’roll dans des creux). N’ayant pas de dessalinisateur portable ou manuel, j’ai opté pour un bon vieux bidon de 5 L d’eau potable, comptant sur mon filtre mini-sawyer pour gérer de l’eau de pluie dans les rochers en cas de nécessité (en dehors des zones de largage des oiseaux bien sûr). Je prévois mon téléphone dans une poche étanche (sous l’eau) avec une batterie externe, la gopro, les cables, dans un bidon spécifiquement étanche pour les activités nautiques. Pour la nourriture, partant 3j, comme toujours, j’ai prévu 4j de nourriture dans le doute, toujours sèche et emballée de manière imperméable quand je pars naviguer, le tout dans un sac imperméable aussi (marque Karrimor pour ma part, mais que l’on retrouve aussi chez Tribord ou Guy Cotten).
Préférant dormir que manger, je privilégie les barres céréalières laitières au petit-déjeuner (cela remplace le lait) pour ne pas avoir à chauffer du lait ou du café, je gagne ainsi 30 minutes de sommeil chaque jour et évite d’être trop visible le matin, tôt, quand tout le monde est debout. Pour dormir, comme d’habitude, mon combo hamac DD Hammock + underblanket + tarp. Certes un peu lourd par rapport à un simple tapi de sol et une tarp, mais imbattable niveau confort, protection, isolation. Quand je l’ai, je sais que je vais bien dormir, cela est précieux quand on sait que souvent la première nuit de bivouac, on a besoin de temps pour s’adapter au fait que les choses bougent autour de nous (état de vigilance musculaire qui empêche le sommeil profond). Je rajouterai juste que niveau vital, la crème solaire est obligatoire, ainsi que des lunettes de soleil, sur mer ou en rivière. Vous êtes précisément à l’endroit le plus chaud, pas de végétation, des reflets lumineux sur l’eau, l’œil sera très sollicité et votre peau après 4 h à ramer sans crème, ne sera plus bonne à en subir davantage (rougeurs, cloques, brûlures).
Au niveau vêtement, comme lors de mes expéditions sur l’eau, je fais léger, car je pars du principe que je peux me laver tous les jours, vêtements inclus. Sur moi un short, un Tshirt, crocs aux pieds pour entrer et sortir de l’eau, caleçon et casquette. Dans le sac, la même chose. Si je suis sur une rivière, je prends mes chaussures et une paire de chaussettes, en bord de mer je sais que la randonnée n’est pas une option donc simplement les crocs (et puisque la mer monte / descend il faut pouvoir tirer le canoë hors de l’estran, autant qu’il soit allégé au possible). L’inconvénient en mer est que laver son linge et le bonhomme est plus compliqué, on colle toujours après à cause du sel et les vêtements finissent rapidement par devenir un peu râpeux avec l’accumulation de sel dedans. Dans ce cas, trouver des flaques d’eau douce dans les rochers est recommandé. Je recommande vivement d’acheter un petit T-shirt à manches longues spécial surf ou activités nautiques, technique donc séchant rapidement, anti-UV pour vos avants-bras qui vont prendre cher au soleil. Préférez un chapeau qui protégera la nuque entre midi et deux, plutôt qu’une casquette qui, si vous avez des lunettes de soleil, sera d’un moindre effet (mais il faut une visière sinon vous aurez une fatigue oculaire assez rapidement).
Le canoë bien sûr, j’ai vérifié qu’il flottait toujours, que les sacs de flottabilité avant et arrière étaient toujours présents et en état (le canoë n’est pas auto-vidant, ni bi-coque, il date des années 1990 à l’ancienne). Par contre, grâce aux coussins de flottabilité il peut aller en mer (validé par les gendarmes maritimes) car il est insubmersible (même sans les coussins en fait, il flotte à l’endroit comme à l’envers, j’ai testé plusieurs fois). Bon, les cicatrices de sa vie passée étaient toujours là, mais il tiendrait le choc. En plus, le fait qu’il fasse 4m60 et 60 kg m’assure qu’il tiendra bien dans la houle bretonne qui m’a vu naître, et cela m’a été utile plus d’une fois (un rapide sur la Dordogne, nommé le Saut de l’Ange, honnêtement vue la marche d’eau (cascade) de 40 cm que j’ai prise avec un courant tribord en contre, le canoë à la perpendiculaire du courant, j’aurais dû chavirer). Et puis… pendant ce périple également, j’y reviendrais.
Enfin au niveau de la préparation générale, j’ai vérifié la météo bien entendu, toujours 2-3 jours avant, pendant et après afin de comprendre l’évolution générale du temps et anticiper des belles surprises comme des plus moches. J’ai vérifié les marées sur l’almanach des marées et revérifié l’état des courants, particulièrement vivaces dans le Golfe (fichue Jument à 15 km/h). Je n’ai pas prévenu de services en particulier, car les gendarmes étaient prévenus de ma présence, sinon j’aurais pu passer un coup de fil à la SNSM pour les avertir (lieu, horaire, durée, trajet, retour estimé).
Le non-cairn de gavrinis
Je me gare sur un parking public et autorisé à Larmor-Baden, à l’ouest du golfe. Coup de chance, la place la plus proche de l’eau et disponible, à 3 m de l’eau à marée haute (je suis arrivé à marée basse, mais le sable était permissif pour tirer mon canoë). Premier problème, si j’ai pu charger le canoë à l’aller en m’aidant d’un échafaudage pour faire poulie à l’arrière le temps de soulever le haut, là je suis au milieu du parking. Première idée, me garer sous la barrière anti-campingcar. Ainsi je peux attacher l’arrière du canoë, avancer pour qu’il arrive au bord du toit, puis à la main le descendre sur le côté avec un mousqueton faisant office de poulie. Bon, bon… beaucoup de manipulations pour rien. Deuxième coup de chance, un monsieur assez solide se gare avec madame à la place d’à côté. Au culot, bonjour mon bon monsieur, canoë, problème, descendre, oui oui pas de soucis, premier problème réglé. Je m’équipe et prends un deuxième petit-déjeuner histoire de ne pas être affamé au milieu de la mer. Je remplis mon sac d’expédition (sac étanche Karrimor).
Je l’attache à l’avant comme souvent, dans l’abri des jambes de la personne de devant, et je passe un bout avec mousqueton 200 kg dans le bout de remorquage (il y a deux trous de chaque côté pour l’amarrer solidement sur le canoë). Ainsi, je place ce petit bout’ dans le canoë avec le mousqueton, si je chavire le sac sera maintenu dans cet abri et ne m’empêchera pas de ressaler (redresser l’embarcation vers le haut), encore mieux, il ne servira pas d’ancre involontaire qui m’empêcherait de le pousser jusqu’au rivage ou au contraire de voilure sous-marine entraînée par les courants. Et puis… surtout si j’ai un problème je ne perdrais pas toutes mes affaires (même si elles seraient trempées, car un sac étanche protège de la pluie, mais pas de l’immersion = imperméable). Raison pour laquelle à l’intérieur chaque station (poste / kit) est de nouveau rangée dans un sac imperméable (sac roulable avec clips). De tailles et de couleurs différentes, ils me permettent d’organiser ou de ranger / vider mes affaires en 10 secondes. Le sac jaune nourriture (car mes emballages lyophilisés sont jaunes), le sac vert kit couchage (car l’underblanket est verte, c’est mon côté psychopathe), le sac bleu pour le duvet (Deuter de couleur bleue), le petit-déjeuner est orange, car la taille correspond bien et les vêtements le même sac (un autre orange taille XS) pour m’obliger à limiter l’emport au maximum (le sac est petit). Le medikit que j’appelle sanisoin (sanitaire et soins) est rouge, en toute logique et tout petit (XXS). Remplir ou vider mon sac d’expédition me prend donc 10 secondes, avec bien sûr je reste humain, toujours 2-3 trucs en vrac à côté qui se calent bien dans les interstices et qui ont un accès rapide, mais qui ne craignent pas l’eau.
Le sac est chargé, j’attache ma carte SHOM du Golfe, plastifiée et percée-vidée avant plastifiage pour créer un ancrage sec (si on plastifie puis qu’on fait le trou au milieu de la feuille, cela décolle le plastique qui doit toucher du plastique à l’opposé pour bien coller, et naturellement votre document n’est plus étanche). Elle est attachée à mon gilet et non au canoë, ainsi si je tombe à l’eau, je saurais au moins me repérer (boussole autour du cou également). L’écope est attachée à ma droite, le couteau maritime d’urgence (du kit de mon radeau de haute mer) attaché à ma gauche. Sous mon siège, une bouée rouge attachée à l’arrière du canoë, si le bateau se retourne elle flottera pour augmenter ma visibilité (avec en prime bande réfléchissante visible à 1 km). La rame, c’est mon côté bushcraft-traditionnel, est une rame simple en bois (en faux-bois certes). Alors oui, en mer, sur un canoë, seul, une rame double aurait été du plus bel effet. Mais je n’en avais pas encore et je voulais la jouer roots, après 300 km sur la Dordogne en rame simple, j’étais vacciné. Je n’ai pas regretté, car la manœuvrabilité d’une telle rame m’a été utile à plus d’une occasion lors de cette traversée du golfe du Morbihan, mais c’est vrai que pour aller plus vite une rame double aurait été préférable.
J’équipe ensuite mon gilet de sauvetage, il est un peu juste vue la carrure évidente de mon ventre, mais il ne descend pas trop et puis, j’allais en mer donc pas de compromis avec la sécurité (j’admets que sur la Dordogne, vus mes 5 km/jour de vitesse, avec 1 m de fond maximum, dans un radeau insubmersible et inchavirable, je m’asseyais plutôt dessus). Je me Baden… euh badigeonne de crème solaire, je n’oublie pas le nez, les oreilles, la nuque, double dose sur les avant-bras, je pense à mes cuisses qui avaient cramé sur la Dordogne (juste le bout qui dépasse du canoë quand je m’assoie en tailleur). Plus d’excuses, je prends le bout de remorquage et je tracte l’engin (50-60 kg environ) avec les 20 kg de matériel environ, sur le sable de l’estran jusqu’à une mare qui m’amènera finalement à la mer. J’embarque et comme on dit par chez moi « En avant Guingamp ».
Lire aussi : Visiter la baie du Mont-Saint-Michel.
Cap vers la raison de mon périple, une amie (salut Laurence) avait éveillé ma curiosité en allant via une Association Préhistorique visitée le Cairn de Gavrinis. Je me suis dit que j’aimerais le visiter de nuit, dormir à côté pour m’inspirer de l’ambiance et tâcher de ressentir… quelque chose. Sauf que, je l’ai joint dans la journée pour lui demander des détails, elle brise mon rêve malgré elle : caméra, gardiens, barbelés, interdit, protégé… bon… pas breton pour rien, je veux voir de moi-même, alors je rame plein sud. La mer est calme au sud-est du port de Larmor-Baden, je m’engouffre donc à l’Est de Gavrinis, longeant l’île Berder par l’ouest, si vous avez la carte sous les yeux. Deuxième erreur, j’aurais dû longer Gavrinis par l’ouest car… souvenez-vous la marée était basse et le temps d’engager le canoë elle commençait à remonter. J’étais donc pile entre l’île de la Jument et l’entrée du Golfe, à 500 m du deuxième courant le plus fort d’Europe et mon choix inopportun allait me forcer à ramer en contre au moment où il se réveillait pour envahir les 115 km² d’espace que formait le Golfe. L’erreur de marin d’eau douce, et il ose se dire de Paimpol ? Ha ha.
Sans compter que, maintenant que j’étais si près du but, je voulais le voir ce Cairn, hors de question de faire demi-tour. Mes ancêtres n’ont jamais fait demi-tour (bon sûrement que si, mais sur le moment je me sentais jugé par mes ancêtres comme Mulan avec les fantômes qui lancent le dragon Mushu à son aide). Je contourne donc le sud-est de l’île et tombe pile au bord du courant de la jument. Sur une des rares vidéos étant sorti de ma caméra défectueuse (elle filme le son, mais pas l’image…) on voit le courant à 3 m du rivage, on dirait que je suis sur une berge et qu’il est une rivière bien énervée : 4 m/s soit 15 km/h, une belle pointe de vitesse même pour un torrent. J’ai quand même ramé 300 m dedans, j’étais jeune en ce temps-là, avant de déclarer forfait et de me ranger sur la rive sud pour finir à pied. J’ai revérifié 3x que le canoë n’allait partir avec le courant (amarré de 2 façons différentes) puis j’ai gravi les rochers jusqu’à l’embarcadère sud-ouest. Tout cela pour constater qu’en effet, la barrière d’entrée me masquait la vue du cairn, des barbelés, des caméras, des panneaux « 3 ans de prison bla bla ». Bon bon… je cherche un gardien de l’œil, je crie, je fais des signes, personne. Il commence mal ce périple vers les origines ancestrales de la Bretagne préhistorique. J’y retournerais un jour avec les bonnes personnes (associations…).
Le courant de la jument
La mer monte toujours, je dois regagner mon canoë, le chemin de l’aller est désormais à 40 cm encore plus sous l’eau, trop pour que je reste au sec donc je zig-zague dans des rochers pas prévus pour, mon enfance dans les rochers costarmoricains s’est révélée payante, car je ne tombe pas ni ne me blesse. Mon canoë… n’a pas bougé je vous rassure, mais il tangue un peu, le courant a désormais étendu son action sur la rive, ayant plus de fond pour le porter jusque-là. Je détache et je repars, au culot, je pars à la perpendiculaire pour rentrer dedans et surfer vers l’est. Finalement, pas si violent au centre que sur le bord, je parviens à y pénétrer sans être poussé en contre comme je m’y attendais un peu. Je rame en son centre et là, surf power, je suis propulsé en 2 minutes au sud de l’île Berder et je tente ma chance pour rejoindre la côte ouest de l’île aux Moines, que je visais pour suivre mon itinéraire initial (il ne tiendra pas longtemps ha ha). Mais il vire au nord ce maudit courant afin de taper dans Port Blanc et poursuivre son invasion du nord du Golfe (vers l’île d’Irus et son Est). Et moi, peu rassuré par ce courant, je voulais longer paisiblement la côte afin de pouvoir faire des pauses en cas de besoin, ou si je voyais un beau lieu pour aller visiter ou préparer un bivouac en avance, photographier un arbre…). Finalement, troisième erreur, le courant du golfe n’est pas franchement unidirectionnel comme un courant d’arrachement côtier, il est dépendant de l’endroit, du moment de la journée et de votre localisation dans le golfe. Cela, n’était pas dit sur les sites internet, je l’ai découvert à la dure en ramant. J’aurais dû finalement rester dans le courant dominant qui parfait au nord-est de l’île Berder, il m’aurait poussé en 15 minutes entre Port Blanc et l’île aux moines (où la côte touche presque l’île).
Mais voilà, breton et tout ça, je voulais longer, alors j’ai longé. Il m’a fallu traverser une zone houleuse, car au carrefour de 4 îles avec du fond (8 m, l’un des points les plus profonds du Golfe). J’ai croisé une école de voile qui galérait en optimiste, le moniteur me regarde de loin en zodiaque, me fait un « OK ? » de la main le pouce en l’air, je lui réponds cordialement avec le signe « OK » de plongée pour le chambrer (le pouce et l’index formant un rond, les autres doigts levés). Il m’a suivi du coin de l’œil pendant 20 minutes, gloire à lui et à sa bienveillance de marin. Finalement, 1 h 30 plus tard j’arrive au goulet entre le continent et l’île aux Moines. Je me pose dans la crique nord, je suis tombé dans un piège en voyant le panneau « bar », je ramais depuis 2 h, j’avais faim, j’ai pris un Coca afin d’avoir un peu de sucre rapide et parler marée avec les locaux. Pas de bol, ce sont tous des Parisiens en petite chaussure marron, sans chaussettes, chemise bleutée, lunettes sur le front, vous voyez le genre ? Ils sont arrivés là avec un bateau de location, mais sans permis, je n’ai pas tout compris, mais je dois repartir, en leur disant de se méfier, car l’été les gendarmes patrouillent. Ils m’assurent que tout est en règle, j’essaie de leur parler des moteurs de plus de 6ch mais… bon, je suis en vacances après tout alors je n’insiste pas.
La crique offre une superbe protection naturelle au courant qui monte au nord, je trace donc un bord de ma pointe vers la pointe nord de l’île, sans encombre, j’admire à l’ouest les côtes du Golfe, le soleil est là, c’est beau, l’eau brille, même si parfois le ciel s’assombrit quelques minutes. On dit en Bretagne qu’il fait beau plusieurs fois par jour, c’est un plaisir que seuls les Bretons peuvent réellement apprécier comme il se doit. Petit plaisir en dépassant le nord de l’île, je m’amarre à une bouée pour manger mon sandwich dos au soleil, le courant venant désormais de l’Ouest et ce premier étant plutôt à l’Est encore). Des bateaux passent, pêcheurs, plaisanciers, ostréiculteurs. J’ai le droit à quelques « bon appétit », « la vue est belle ». Ouais ouais, je profite de mon moment en solitaire, ôtez-vous de mon soleil ai-je envie de leur répondre. Je souris niaisement en hochant poliment la tête, j’ai l’habitude des touristes à Paimpol, si on ne parle pas ils comprennent et vous laissent tranquille. Bon à partir de là je ne citerais plus le nom des îles, car la plupart sont des propriétés privées et techniquement, on n’a pas le droit d’y accoster à sa guise. Pour ma part j’étais de bonne foi je n’ai vu le panneau qu’après avoir ramé 1 h 30 pour rejoindre l’île et encore, le côté où j’ai accosté était dépourvu de panneau, bref.
Je rame un peu au sud pour contourner l’île aux Moines, le projet était de rallier l’île d’Arz pour la contourner par le nord, l’est et partir sud-est après pour aller voir l’île aux Oiseaux tout au sud-est du Golfe (il y avait aussi une rivière que je voulais voir, et m’y laver). Mais voilà, le temps de ramer depuis 10 h, on arrive à 16 h et comme tout le monde le sait la marée au bout 6 h à monter, finit par redescendre. Je suis donc bien malgré moi et de nouveau, en train de pagayer en contre-courant vers l’Est alors que la mer file au sud pour ressortir du Golfe. Le plus dur, ce sont les bras de mer entre deux îles qui sont rarement à l’estran (il y a toujours de l’eau = donc du fond = donc du courant). On sent vraiment qu’on n’est pas au bon endroit quand on veut traverser entre deux îles. Les creux sont conséquents (il y avait du vent ce jour-là, j’avais des gentils creux de 40 cm) et mon canoë une fois à l’eau avec le bonhomme dedans, j’atteignais difficilement les 40 cm de coque hors d’eau. Autant vous dire que c’était humide à chaque vague, une vague toutes les 4 secondes, vous voyez. En somme, je rame jusqu’à 18 h vers l’île de mon plan B (j’avais anticipé que peut-être entre mon envie de voyager et la marée, il y aurait quelques animosités). Je termine en montant au nord (pour l’aborder côté sud) en pleine marée descendante, ramant donc parfaitement en contre, avec des creux de 40 cm. Dire que c’était sportif serait diminuer l’ampleur de la tâche et peu respectueux à mon égard. Non, c’était TRES sportif et j’ai failli changer de cap plusieurs fois pour diminuer l’impact du courant sur mon embarcation. Mais en Bretagne, c’est la mer qui a forgé le caractère passionné des Bretons, je n’allais pas faire demi-tour. Je songeais à Michou, la vache-protectrice imaginaire que mes ancêtres-paysans-à-la-Mulan avaient envoyé pour me surveiller, je ne voulais pas la décevoir.
Le bivouac sur une île
J’atteins le sud de l’île qui, à partir de 100 m avant le bord, devait avoir un estran conséquent, car le courant n’y avait presque plus prise, au contraire, les vagues me poussaient à présent vers la côte. Je ne dirais pas que les courants du Golfe sont incompréhensibles, je dirais qu’ils ont leurs sensibilités, il faut prendre le temps de les connaître avant de les juger (j’ai fait les deux). J’arrive donc sur l’île, visant un calvaire de granit planté là sûrement pour guider les marins, autant spirituellement que physiquement. Ne pouvant plus pagayer pour la contourner en bateau, le courant me plaquant contre la côte avec force, je promène mon canoë par la laisse vers le sud-est de l’île, qui bien qu’ayant une berge d’un mètre de haut, semble herbeuse donc accueillante. Arrivé à son Est quelques minutes plus tard, je vois que la berge est presque faite pour accoster, elle s’affale agréablement en disparaissant dans le sable, je parviens presque sans effort à hisser le canoë. Bien que la marée descendait encore, l’eau n’était qu’à 3-4 m du bord. Je sortis le canoë hors de l’eau afin d’éviter qu’avec la marée montante il ne file à l’anglaise (isn’t it ?). Enfin je suis arrivé ! La terre promise ! J’avais lu sur un blog pendant mes recherches que certains avaient déjà bivouaqué dessus, je savais donc y trouver de quoi m’installer (arbres, herbes, abri, protection du vent, de la vue des passants).
Quatrième erreur, toutes les îles du Golfe sont soit privées, soit interdites au public, ce qui revient au même. Je tombe alors nez-à-nez avec un panneau « allez vous faire pendre ailleurs » (oui, c’était juste marqué Propriété privée). Après tous ces efforts ? Hors de question. J’arpente l’île à la recherche d’un Châtelain à soudoyer à coups de sourires charmeurs, mais hormis une vieille maison, il n’y a pas grand-chose. Je toque à la porte plusieurs fois, je me présente dès fois qu’ils auraient peur d’ouvrir « je suis un promeneur, j’aimerais solliciter une autorisation de couchage ». Personne, bon bon, comme quoi être honnête cela paie, désormais rassuré que personne ne pointera un vieux fusil de chasse sous mon nez au beau milieu de la nuit, j’accepte le titre de Maître des Lieux pour la nuit. Je tire un peu mieux mon canoë pour qu’il soit moins visible du large (rouge pimpant, tu parles !), je sors mon barda, je prépare un feu sans l’allumer, je place mon hamac dans un couvert d’arbres accueillant, de beaux pins maritimes bicentenaires. L’île n’a pas été fréquentée de l’été, les herbes folles sont partout, les branches mortes tombées au sol jonchent négligemment, on voit bien qu’aucun amoureux de son île n’est venu s’en occuper. Sympa, je mets un coup de nettoyage sur ce qui doit être un chemin, l’île est petite, mais la végétation est active, beaucoup d’oiseaux, de ronces, d’herbe. En faisant mon feu, je terminerais mon action de nettoyage. Le propriétaire saura ainsi que quelqu’un est passé et qu’il n’a rien abîmé, peut-être qu’un jour, il sourira en ouvrant la porte à un promeneur nautique pour l’autoriser à dormir sur son île.
J’aurais adoré lui parler, j’aurais aimé négocier un gardiennage gratuit de l’île en hiver contre l’autorisation d’y rester (grosse cheminée en pierre visible sur le toit, miam entouré d’eau et de tempête, au coin du feu, dans une solide maison en granit) pour écrire l’un de mes livres ! Si quelqu’un a une vieille maison de pierre dans le golfe et entend ma proposition, je bûcheronne également s’il faut en remerciement (il faut bien s’occuper le corps en journée). Quoi qu’il en soit, je fais le fayot pour faire l’ambassadeur du prochain qui viendra lui parler, je prends du sable et des pierres et je fais un foyer sécurisé dans l’herbe pour éviter un feu d’île (oui, on innove pas mal de la sorte en Bretagne). Je fais un petit direct sur ma page facebook pro, afin de partager mon bonheur d’être là avec les quelques personnes qui me suivent (ma mère, essentiellement, humour). Puis la nuit tombe enfin après 21 h, je démarre le feu et je place des algues solides en grille pour faire cuire des saucisses chinoises précuites, avec des goûts sucrés-salés merveilleux (sûrement chimiques, il est vrai) avec une potée céréalière Tipiak, à laquelle j’ajoute mon ingrédient secret… de la soupe lyophilisée champignon-crème, bien dosée elle fait une succulente sauce et sale le plat. Après 30 minutes tout est prêt, je mange adossé à un pin maritime, contemplant le soleil couchant à l’ouest de mon île, parlant à une branche d’arbre qui ressemblait à s’y méprendre à une tête de canard avec le cou qui va bien. C’était mon « Wilson » de la soirée, et nous avons franchement refait le monde de manière efficace même si peu constructive. Après un tour aux toilettes, je plante mon canard dessus comme avertissement au prochain qui, armé d’une pelle, chercherait les trésors de ma gastronomie dans le sol.
Je profite de la soirée sans nuages pour vérifier si, comme les grands explorateurs maritimes avant moi, on voyait mieux les étoiles depuis la mer que sur terre. C’est le privilège d’une île, on est sur terre, mais aussi un peu en mer à la fois. Je m’émerveille devant le spectacle, je regarde si mon feu est bien centré par rapport aux habitations côtières qui pourraient le voir et prévenir qui que ce soit. Chaque habitation a un gros arbre qui la masque depuis mon feu, mon secret sera bien gardé pour la soirée. Je lis un peu, j’écoute la mer, je rêvasse en attendant le sommeil puis… je gagne mon hamac après avoir soigné mes petits tracas du jour : une ampoule, un coup de soleil mineur, un peu de toilette, nettoyer le matériel de navigation pour le matin, vérifier les azimuts de la journée suivante. Je m’endors en pensant que les courants du Golfe sont aussi contrariants que possible et je me demande, moi qui ne suis pas bon en maths, si la marée sera haute ou basse au réveil. Commençant à calculer savamment, je m’endors avant de constater que…